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Afrique du Sud : Frederik De Klerk, un destin en noir et blanc

publié le 28/12/2021 | par Maria Malagardis

par Maria Malagardis.

Rarement le destin d’un homme aura à ce point été lié à celui d’un autre. Décédé jeudi, à 85 ans, des suites d’un cancer du poumon dans la ville du Cap, Frederik Willem De Klerk ne serait jamais entré dans l’histoire sans Nelson Mandela, l’icône de la lutte anti-apartheid dont il a permis la libération après vingt-sept ans d’emprisonnement.

Mandela est mort il y a déjà huit ans, mais l’aura de De Klerk reste à jamais liée au duo inattendu qu’il aura formé, lui le dernier président blanc d’Afrique du Sud, avec le premier président noir du pays qui lui succède en 1994. Un an plus tôt, les deux hommes avaient reçu conjointement le prix Nobel de la paix, consacrant ce qu’il était convenu d’appeler à l’époque, «le miracle sud-africain».

Dans sa maison du quartier huppé de Fresnaye au Cap où il est mort, De Klerk se trouvait d’ailleurs à quelques encablures du Parlement sud-africain, où le 2 février 1990, il avait prononcé ce discours resté célèbre et qui fera l’effet d’un coup de tonnerre : «L’heure des négociations est arrivée», martèle alors d’une voix forte cet Afrikaner propulsé à la tête du pays un an plus tôt.

A la surprise générale, De Klerk annonce dans la foulée, la libération «sans condition» de celui qui est à l’époque le plus célèbre prisonnier politique au monde, ainsi que la légalisation des partis anti-apartheid.

La ségrégation raciale instaurée en 1948 après la victoire électorale du Parti national est en passe d’être démantelée. Mais au-delà, c’est une domination blanche de trois cents ans qui chancelle soudain, ouvrant une nouvelle ère dans ce vaste pays d’Afrique australe, véritable puissance régionale placée cependant au ban des nations en raison de son racisme institutionnalisé par un parti afrikaner, du nom des descendants des colons hollandais et huguenots français.

«Une étincelle entre nous deux»

De Klerk, dont le nom serait un dérivé de De Clerc, est un pur produit de ce système. Né le 18 mars 1936 dans une famille influente de Johannesburg, la capitale économique, il abandonne vite une carrière d’avocat pour entrer au Parti national, avant d’occuper plusieurs postes de ministre à partir de 1978. Perçu plutôt comme un conservateur, rien ne semblait le prédestiner à amorcer les bouleversements radicaux qu’il mettra en place après 1990.

«Pour nous, Monsieur De Klerk ne représentait rien. Il semblait la quintessence de l’homme d’appareil», se souviendra Mandela dans son autobiographie. Vingt ans plus tard, De Klerk expliquera avoir pesé l’impasse dans laquelle se trouvait son pays, confronté au risque réel d’une guerre civile. Estimant avoir ainsi sorti les Blancs «de leur isolement et de leur culpabilité», et permis aux noirs d’obtenir «la dignité et l’égalité».

Mais le facteur humain a certainement été tout autant crucial. «Il y a eu immédiatement une étincelle entre nous deux», confessera De Klerk en évoquant sa première rencontre, secrète, avec Mandela en 1989. A l’issue des premières élections multiraciales en mai 1994, il devient vice-président dans le gouvernement dirigé par Mandela. L’époque est à l’euphorie, célébrant «la nation arc-en-ciel», sans que ne transparaissent encore les effets de l’abandon des réformes sociales les plus audacieuses.

Les blancs sont sortis de leur «culpabilité» certes. Ils conservent surtout l’essentiel du pouvoir économique, alors que la majorité des noirs n’a obtenu qu’une «égalité» de façade, sans rompre avec une pauvreté endémique qu’accompagnera bientôt une explosion de la criminalité.

Quand point l’inévitable désenchantement, Mandela a déjà quitté le pouvoir en 1999, et De Klerk, la politique, deux ans plus tôt. Dès 1996, il avait démissionné de la vice-présidence, pour marquer son opposition à la nouvelle constitution qui ne garantissait pas le partage du pouvoir avec les blancs.

Illusions perdues

Le destin en noir et blanc de De Klerk entre alors dans une zone grise, reflet de l’amertume croissante de la minorité blanche, hantée par une insécurité galopante, et confrontée elle aussi à la corruption des services publics qui atteint son apothéose sous la présidence de Jacob Zuma entre 2009 et 2018. La réconciliation n’est plus un «miracle» mais un mirage.

Et De Klerk, dont l’ex-épouse Marike a été poignardée et étranglée lors d’un cambriolage en 2001, s’autorisera quelques années plus tard des mots très durs à l’égard de Mandela. En 2020, il suscite même le scandale en déclarant que l’apartheid «n’est pas un crime contre l’humanité», avant de finalement s’excuser.

Au soir de sa mort, ce sont bien les illusions perdues qui s’imposent dans un pays où les coupures d’eau et d’électricité sont désormais monnaie courante. Noirs et blancs vivent toujours globalement séparés, la ségrégation économique ayant remplacé celle qui avait été imposée au nom de la race.

Reste ce moment de l’histoire, où la rencontre entre deux hommes, un blanc et un noir, a consacré un symbole. Celui d’une réconciliation possible dépassant un passé douloureux, débarrassé de ses oripeaux racistes. De Klerk fait partie de ce rêve, qu’il emporte dans sa tombe.

 

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