« Nous sommes en guerre ! »
par Jean-Paul MariDimanche 17 décembre, dans la soirée, au camp du Comité politique exécutif du Comité central du Parti communiste roumain, l'organe de décision de la Roumanie de Nicolae Ceausescu. Réunion d'urgence ; des manifestations ont éclaté la veille à Timisoara, le dicateur est fou de colère, la répression n'a pas été, selon lui, à la hauteur des événements. Au lendemain de cette réunion, le guide suprême doit partir pour un voyage officiel en Iran. Ce soir, tous les plus hauts responsables du pays sont là, autour de la table. Atmosphère explosif, il y a là Elena Ceausescu, acide, violente, qui n'intervient que pour faire monter la pression. Emil Bobu, son conseiller, Manea Manescu, vice-premier ministre, Constantin Dascalescu, premier ministre, Ion Dinca, Gheorge Oprea et Gheorge Radulescu... tout le bureau permanent au complet. Tous seront arrêtés plus tard. Il y a là aussi les permanents du Comité politique exécutif (CPE) et leurs suppléants, au total trente-quatre personnes. Il y a là surtout trois accusés : Vasile Milea, le ministre de la défense, rigide, militaire, mais fragile ; Nicolae Ceausescu le qualifiera de "traître" et on le retrouvera "suicidé" quelques jours plus tard, le vendredi 22 décembre au matin, à l'aube de la chute du régime. Et Tudor Postelnicu, le puissant ministre de l'intérieur ; il essaiera en vain plus tard de pactiser avec la foule des manifestants du haut du balcon du Comité central, mais fait preuve devant Nicolae Ceausescu d'une extraordinaire servilité. Et puis Julian Vlad, le chef de la redoutable Securitate, la police secrète du régime, le plus malin, le plus froid, un homme aux nerfs d'acier, il s'expose le moins possible à la furia du dictateur mais sera un des premiers a basculé dans le camp de la révolution quelques heures après la chute de Nicolae Ceausescu. Pendant plusieurs jours, il réussira même à faire partie du nouveau comité du Front de salut national avant d'être arrêté à son tour.
Lisez les minutes complètes de cette dernière séance, écoutez Nicolae Ceausescu, grand maître de la terreur et de la manipulation, enfoncer le clou de sa vindicte, pousser les "accusés" à confesser leurs fautes, faire mine de demander l'avis des autres membres, les impliquer tous, les condamner avant de les sauver in extremis pour mieux les tenir ensuite un pistolet sur la tempe. Mieux, il demande qu'on massacre les manifestants et personne ne veut ou n'ose protester. Tous se taisent, complices ou approbateurs. Même Paul Nicolescu, aujourd'hui ministre du commerce intérieur au Front de salut national. Avec Nicolae Ceausescu, la neutralité était interdite. Le dernier comité est la dernière séance d'un dictateur persuadé de faire face à un complot mondial, une pièce de théâtre post-stalinienne qui s'achèvera dans le bain de sang de la révolution roumaine.