Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

La guerre d’Afghanistan filmée au plus près, côté talibans.

publié le 07/01/2011 | par Jean-Paul Mari

La guerre d’Afghanistan filmée au plus près, côté talibans. Un document rare, et courageux.
Le réalisateur afghan de ce documentaire a suivi, dix jours durant, les insurgés du hezb e-Islami,
entre Baghlan et Kundunz, près d’une route stratégique qui traverse le pays.


Tout reportage « derrière les lignes ennemies
» est précieux. Et sujet à polémiques.
Comme un coup de projecteur
rare sur le trou noir des talibans en guerre,
leurs méthodes, leur quotidien, leurs secrets.
Même s’il doit toujours affronter l’accusation
de film de propagande ou d’opération
de publicité pour les insurgés. On sait
la difficulté de travailler en Afghanistan,
tourner ou écrire, en dehors des grandes
villes, sans être embedded, c’est-à-dire sous
la protection paralysante d’une armée de
la coalition.

Nos deux confrères de France 3, Stéphane
Taponier et Hervé Ghesquière, ont été pris
en otages il y a plus d’un an simplement pour
avoir voulu recueillir l’avis de la population
dans la vallée de la Kapisa, à deux pas de
Kaboul, la capitale. Pour un reporter, espérer
suivre des insurgés en action est devenu
un risque démesuré. Partout où la guerre
se veut religieuse, en Afghanistan, en Irak,
en Somalie, tout journaliste occidental est
d’abord perçu comme un « croisé », un ennemi,
un espion. La guerre est un double
huis clos, l’armée d’un côté, les insurgés de
l’autre. « Derrière les lignes ennemies » a
donc été réalisé, non sans risques, par un
journaliste afghan.

Qui est-il ? Le film ne dit
rien, livre seulement un nom, Najibullah
Quraishi. Dommage. On aurait aimé savoir
que le reporter a déjà obtenu des prix pour
ses films courageux sur le « Convoi de la
mort » à Mazar-e-Charif ou sa dénonciation
de la pédophilie chez les seigneurs de
la guerre. Pour ce film, tourné pendant dix
jours avec les insurgés du Hezb e-Islami,
l’accusation de complaisance ne tient pas.
Le propos, simple, est une description sans
fard. Dix jours, c’est beaucoup, une caméra à
la main avec les durs du Hezb e-Islami, mais
ce n’est pas assez pour une plongée en eau
profonde. D’où un sentiment de frustration.
Pas de révélation, pas de choc majeur, mais
des constats qui confirment des éléments clés
de la guerre dans les montagnes afghanes.
Najibullah Quraishi suit un groupe du Hezb,
dans le Nord, entre Baghlan et Kunduz, près
d’une route stratégique qui traverse le pays.

Aux côtés des hommes du Hezb e-Islami,
menés par le « commandant Marwaz » – un
ancien homme d’affaires, importateur de voitures
occidentales–, quelques talibans, des
combattants islamistes venus du Pakistan,
du Tadjikistan, de Tchétchénie et d’Ouzbékistan,
mais aussi des combattants « spéciaux
», très discrets, en clair, les Saoudiens
et les Yéménites d’Al-Qaida. Ils font une
guerre à ciel ouvert, se déplacent en armes
et au grand jour, tiennent leur choura, leur
assemblée, sur la place du village… en terrain
conquis et complice. Le commandant
régional parle d’un millier de villages sou-
mis, qui paient l’impôt aux insurgés et vivent
sous la loi de la charia. En un mot, en dehors
des grandes villes, l’armée afghane ou américaine
ne tient pas le terrain ; la montagne et
la nuit appartiennent aux insurgés. C’est le
schéma classique d’une guerre perdue.

Sur cet immense terrain de jeu militaire,
les insurgés ont toute liberté pour poser
des mines artisanales, attendre les convois
et préparer une embuscade. Celle que suit
Najibullah Quraishi écorne un peu le mythe
de l’efficacité des talibans. Noyés dans le
brouillard au bord de la route, mal coordonnés
entre guetteurs, tireurs de roquettes et
combattants chargés de déclencher à distance
les mines posées sur la route, mélangeant
les fils et oubliant les instructions, le
commando rate le passage d’un tank, laisse
échapper un véhicule de police et, à la troisième
tentative, manque son tir de roquette
et fait exploser la mauvaise mine… Encore
raté !

D’où une scène mémorable où les insurgés
rentrent transis et bredouilles en
s’engueulant copieusement. Suit une série
de mensonges. Celui du rapport au commandant
Marwaz qui décrit, victorieux, « un véhicule
de police détruit, quatre à cinq policiers
tués » et celui du responsable policier
en charge de la sécurité locale, qui affirme,
sans ciller, qu’il n’y a jamais d’attaques et
que les insurgés n’ont pas les moyens d’approcher
la route stratégique ! Ce qui en dit
long sur la fiabilité des communiqués des
deux parties.

On aimerait suivre ce commando lors
d’autres opérations, en savoir plus sur son
organisation, les acteurs, leurs portraits,
les combattants étrangers, le professeur
de théologie qui enseigne guerre et religion,
l’étudiant venu tout droit d’une madrasa pakistanaise,
ce prisonnier qui risque d’être
décapité… Mais l’inévitable ne tarde pas à
se produire. Le journaliste, même afghan et
protégé par le commandant Marwaz, commence
à éveiller les soupçons. Il filme ?
Espion ! Qu’il prenne un fusil ! Le coup de
grâce est donné par l’arrivée de deux mystérieux
envoyés pakistanais.

Devant eux, le
commandant Marwaz blêmit, s’inquiète et
pousse en hâte le journaliste dans un minibus
en lui conseillant vivement de ne pas se
retourner. C’est tout ? Oui. Et ce reportage
avorté nous confirme ce que les observateurs
savaient déjà. L’acteur principal, dans
la guerre d’Afghanistan, se trouve de l’autre
côté de la frontière. Au Pakistan.

Jean-Paul Mari


TOUS DROITS RESERVES