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À Qaraqosh, la fin d’un long chemin de croix

publié le 27/10/2016 | par Luc Mathieu

Etape obligée avant la grande offensive sur Mossoul, cette ville chrétienne aux mains de l’Etat islamique depuis août 2014 est en passe d’être libérée par l’armée irakienne. Si les églises sont toujours debout, les séquelles de l’occupation sont omniprésentes.


La croix dorée gît sur le dôme de l’église de la Vierge Marie. Le clocher a été dynamité. L’intérieur de l’édifice incendié, des slogans et des drapeaux de l’Etat islamique (EI) peints sur des colonnes. Mais l’église est toujours là. Ses fondations, ses murs extérieurs rose pâle et ses fenêtres en ogive sont intacts. Le général Benham, chef de la milice chrétienne de la protection de la plaine de Ninive (NPU), ne veut pas s’en approcher, il y a encore des snipers. Mais il sourit, il écarte les bras, il s’anime quand il la regarde.

Il ne semble plus entendre les canons des chars, les tirs de mitrailleuses lourdes et les rafales de kalachnikovs. «C’est la plus grande église du Moyen-Orient. C’est nous, les habitants de Qaraqosh, qui l’avons bâtie en 1935. Cela nous a pris près de dix ans. Nous allons la rénover, ce n’est pas un problème. Quand je suis entré tout à l’heure dans la ville, c’est comme si j’avais oublié que je ne l’avais pas revue depuis plus de deux ans.»

Véhicule piégé

Les forces irakiennes ont pénétré vendredi dans Qaraqosh, première ville chrétienne d’Irak. L’offensive était prévue, elle fait partie de celle plus vaste lancée il y a une semaine pour reprendre Mossoul, à une quinzaine de kilomètres à l’est. Dimanche midi, les soldats se sont installés dans le centre-ville. Les combats sont rudes. Les jihadistes de l’EI, maîtres de la ville depuis août 2014, résistent. Mais ils reculent. «Nous contrôlons la partie sud de Qaraqosh. Nous remontons vers le nord. Des combattants de Daech essaient désormais de s’enfuir», explique un colonel de la première division de l’armée irakienne.

Dimanche, ses hommes et ceux de la neuvième division se sont postés au bout d’une rue du centre-ville. Ils tentent de progresser dans une avenue perpendiculaire. Des blindés s’élancent. Ce sont pour la plupart des Humvee, fournis par les Etats-Unis. Ils sont vieux, un peu rouillés, grincent beaucoup et lâchent une fumée noire quand ils démarrent, mais ils roulent. Derrière chaque blindé, un groupe de cinq à dix hommes. Ils s’arrêtent à la première ruelle qu’ils croisent. Des soldats ouvrent le feu, s’écartent puis reviennent à tour de rôle. Depuis la tourelle de son Humvee, un mitrailleur réplique. Cela ne suffit pas.

Les soldats se poussent, un char se faufile et tire un obus. Il faudra plus d’un quart d’heure de tirs incessants pour que l’avancée reprenne. De temps à autre, une explosion plus forte que les autres retentit : une moto, une voiture ou un camion-suicide. Samedi, un véhicule piégé a visé un blindé irakien. Il reste un cratère d’un peu moins d’un mètre de profondeur dans la chaussée et un essieu, projeté à une vingtaine de mètres. Le blindé, lui, est aplati. La tourelle s’est affaissée, les portières sont calcinées.

Les jihadistes peuvent aussi lancer des contre-attaques et prendre à revers. Les snipers cessent de tirer, semblent abandonner leur position, avant d’ouvrir le feu à nouveau quelques heures plus tard quand les soldats ont avancé. «Personne ne dormira ici ce soir», dit un colonel irakien. Une balle venait de traverser le hall du centre culturel Saint-Pierre où il s’était installé. Quelques minutes plus tard, une mitrailleuse lourde postée à l’entrée ouvrait le feu sur une voiture-suicide.

Les combats ont d’ores et déjà balafré Qaraqosh. Des bâtiments se sont écroulés, transformés en amas de gravats après une frappe aérienne ou un tir d’obus. Les échoppes qui bordent les rues où ont pénétré les blindés irakiens sont ravagées. Dans un café, il reste les soucoupes des tasses posées sur une étagère. Sur le sol, un jeu de domino éparpillé. Le reste est détruit, le plafond tombé, les murs noircis par la suie, la vitrine brisée.

Les jihadistes de l’Etat islamique ont, eux, pillé tout ce qu’ils pouvaient. «Les portes de beaucoup de maisons sont ouvertes, il ne reste rien de valeur à l’intérieur, et tout est saccagé», explique Nebras, un milicien chrétien, qui vient d’être blessé par un éclat de mortier à la cheville. Aucune des sept églises de Qaraqosh n’aurait toutefois été détruite.

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«Il y avait des rumeurs»

Dans le centre culturel Saint-Paul, où étaient dispensés des cours de catéchisme, la présence de l’EI ne laissera pas de traces indélébiles. A l’entrée, sur la guérite des gardes, un tag écrit à la va-vite indique «Mosquée du califat». Dans le hall, sur un des piliers, un avertissement est inscrit à la peinture noire : «Attention, tous les chrétiens, vous devez soit payer la « jizîa » [une taxe, ndlr], soit vous convertir à l’islam. Sinon, nous vous tuerons.» La grande croix sculptée sur un mur a été frappée à coup de marteau ou de burin. Elle est ébréchée mais encore là, bien visible.

Dans un coin, des parpaings ont été cimentés au sol et des robinets accrochés au mur. Les jihadistes y faisaient leurs ablutions avant les prières. Hormis la petite librairie du rez-de-chaussée, vidée de ses livres, ordinateur et table renversés, les autres pièces ne semblent pas avoir été dévastées. Toutes n’ont pas encore été inspectées. Les soldats craignent qu’elles ne soient minées. «Regardez, dit l’un, montrant des fils électriques qui courent en haut d’un mur, ce n’est pas normal, il y en a trop.» L’Etat islamique était entré à Qaraqosh le 6 août 2014. Comme souvent dans la plaine de Ninive, ses hommes n’avaient pas eu besoin de combattre. Leur propagande et leurs vidéos de décapitation et de massacres de masse les avaient précédés. Les combattants kurdes n’ont pas tenté de les repousser. Ils ont fui la ville de 60 000 habitants.

«Il y avait des rumeurs disant que les peshmergas allaient partir, mais on n’y croyait pas. Les évêques nous rassuraient. Mais un soir, un obus de mortier est tombé dans une rue. Trois enfants ont été tués. Quand on a compris que personne ne nous protégerait, on s’est sauvés en pleine nuit. Deux heures après, Daech entrait dans la ville», dit Youssef, un Assyro-Chaldéen de 28 ans.

Youssef, trapu, mâchoire carrée, était alors épicier et père d’un bébé de 4 mois. Il est désormais combattant au sein de la NPU. «Je n’avais jamais pensé à prendre les armes. Mais Daech nous a humiliés et transformés en clochards. C’était le seul moyen pour rentrer chez moi.»

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