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«Bombarder l’Irak, c’est fusiller un pendu »

publié le 05/11/2006 | par Jean-Paul Mari

Entretien avec Pascal Boniface, directeur de l’Iris


Le Nouvel Observateur. – Quelle est la réalité de la menace irakienne et de son arsenalnucléaire, balistique, chimique et biologique?
Pascal Boniface. – Sur ce thème là, on réagit souvent de façon irrationnelle. Il est toujours difficile d’estimer l’arsenal clandestin d’un pays. Mais, dans le cas de l’Irak, la guerre et sept ans d’inspection intensive de l’Unscom, la commission des Nations unies pour le désarmement, ont permis de comparer les déclarations des dirigeants irakiens, celles des transfuges comme l’ex-gendre de Saddam Hussein et les découvertes des contrôleurs. Ce qui est certain, c’est que la totalité du programme nucléaire irakien est démantelé. Tout comme l’arsenal balistique dont il ne subsiste que des missiles d’une portée limitée à 150kilomètres.
N. O. – Ce qui exclut Israël de toute zone de danger…
P. Boniface. – Absolument. L’Irak n’a plus les moyens balistiques de s’attaquer aux pays voisins. De plus, il est difficile d’imaginer, même s’il vous reste un missile… que vous en arriverez à le lancer. Les Etats-Unis disent qu’il y a une possibilité de reconstitution des stocks. C’est vrai mais on ne peut pas avoir un Etat sans souveraineté et occupé à l’infini. On ne peut pas exiger une option zéro éternelle. L’Irak réarmera un jour où l’autre. Mais avec quel type d’armes? Certaines sont interdites.
En ce qui concerne le chimique et le bactériologique, l’Unscom n’est pas sûre d’avoir tout démantelé. Et on a pris les Irakiens en flagrant délit de contradiction quand ils affirment avoir détruit eux-mêmes une partie de leur arsenal. Détruit ou dissimulé? Il y a un doute sur une petite partie, résiduelle, de cet arsenal. Mais pour le reconstituer avec des souches bactériologiques, il faut du temps, des moyens, des installations. Fabriquer des quantités de gaz Sarin, d’Ypérite, d’Anthrax, etc… ce n’est pas à la portée du premier venu! L’Unscom a déjà détruit 40000 munitions chimiques. Même si les Irakiens possèdent encore quelques armes chimiques ou biologiques, ils ne sont pas prêts à reconstruire un gigantesque arsenal et, d’ailleurs, que pourraient-ils faire face à la force qu’on leur opposerait?
En réalité, les Etats-Unis paraissent prisonniers de leur propre propagande quand ils affirment que Saddam Hussein est une menace majeure pour la paix et la sécurité mondiale! Alors qu’un constat froid sur la dimension de cet «arsenal» montre qu’il ne peut en aucun cas constituer une menace.
N. O. – Les militaires américains ont dit que leurs frappes éviteraient tout site sensible pour ne pas risquer une éventuelle contamination…
P. Boniface. – C’est paradoxal de dire qu’on va détruire un arsenal en évitant de le frapper, non? En fait, si l’Irak était réellement une menace militaire, les Américains ne seraient pas intervenus de cette manière, à cause des risques pour leurs hommes et les pays voisins.
N. O. – Quels seront alors les effets de ces bombardements intensifs?
P. Boniface. – Militairement, pratiquement aucun. Sinon de «fusiller un pendu» ! Le premier objectif est de limiter la prolifération, c’est déjà fait. S’il s’agit de se débarrasser de Saddam Hussein, on va échouer parce que ce n’est pas en bombardant un pays qu’on augmente l’impopularité de son dirigeant. Et les opposants irakiens, soutenus par les Américains, passent pour les marionnettes de ceux qui bombardent. D’ailleurs, s’il fallait bombarder les «proliférateurs», il faudrait commencer à frapper la Chine, la Corée du Nord et le Pakistan. Et Saddam Hussein n’est pas le seul dictateur sanguinaire… Donc, l’effet de ces frappes apparaît comme une nouvelle secousse, marginale, sur un pays déjà détruit du fait de la guerre dont est responsable Saddam Hussein et de l’embargo qui a suivi.

Propos recueillis par Jean-Paul Mari


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