Afghanistan: Chronique d’un district retombé aux mains des talibans
Comme nombre d’habitants du district afghan de Jaratu, Mohammed Naïm et Mohammed Arif étaient pleins d’espoir à la fin 2001. Sept ans plus tard, ce qui semblait impossible s’est produit: les talibans y sont de retour, portés par l’échec de l’Etat et la rancœur populaire.
Décembre 2001. L’arrivée de la communauté internationale dans les bagages de l’armée américaine promettait une nouvelle ère à ce district montagneux sis à trois heures de Kaboul, le long de la grand route qui mène à Kandahar (sud).
Les chefs talibans s’enfuient, pour la plupart au Pakistan ou en Iran. Les autres font profil bas et retournent dans leurs foyers.
« Les talibans étaient tellement affaiblis que les Américains n’y ont plus fait attention », explique Mohammed Naïm, chef du district, et à ce titre principal représentant de l’Etat à Jaratu de la fin 2002 à fin 2008.
Il leur faudra quelques années pour se remettre en confiance.
« Leurs réseaux se sont reconstitués au Pakistan », note Mohammed Arif, un représentant du district, aujourd’hui réfugié à Kaboul comme Mohammed Naïm. « Et ceux qui sont restés ont commencé à mener des attaques ciblées et efficaces ».
Les années passent, et la population de Jaratu, qui espérait parfois monts et merveilles de l’aide internationale, ne la voit arriver qu’au compte goutte, et doit parfois subir les bombardements ou raids des forces internationales.
« Depuis sept ans, davantage de gens vont à l’école et ont accès aux soins médicaux. Mais il n’y a pas d’emplois, d’hôpital, les routes sont encore pires qu’avant, les prix ont augmenté, sans parler de l’insécurité », souligne Mohammed Naïm.
A Kaboul, des ministres, chefs de guerre et hommes d’affaires ralliés au régime amassent des fortunes et se construisent des palais, nourrissant la rancœur des provinces, que les réseaux talibans exploitent à partir de 2005.
Partie du Pakistan, la poussée talibane remontre vers le nord et gagne progressivement Jaratu. « Des petits groupes de talibans sont arrivés de Qalat », située plus au sud, avec « de l’argent et des armes », explique Mohammed Arif.
Parallèlement, les attaques se multiplient sur l’axe Kaboul-Kandahar qui longe Jaratu, et leur butin attire certains jeunes démunis.
« Peu à peu se sont agrégés les anciens talibans fondamentalistes, les groupes criminels, les anciens combattants nostalgiques et les jeunes désœuvrés », explique Mohammed Arif.
Les nouveaux talibans de Jaratu? « 50% d’anciens, idéologues islamistes, et 50°% de bandits opportunistes », selon Mohammed Naïm. « 80% de gangsters » pour Mohammed Arif. « Après les moujahidines des années 1980 et les talibans des années 1990, c’est l’époque des criminels et des voleurs », déplore ce dernier.
Ne restait plus qu’à soumettre les populations, par la peur ou les armes.
Exemple parmi tant d’autres, raconté par Mohammed Arif: « Les talibans ont capturé un policier. Ils ont réclamé 1.200.000 afghanis (24.000 dollars) de rançon à sa famille, qui n’en avait par les moyens. Ils l’ont tué ».
Les talibans n’occupent pas le district de manière fixe et permanente: leurs petits groupes mobiles et clandestins se contentent d’y maintenir un climat de terreur qui étouffe toute réaction des tribus locales.
Et ce n’est pas l’Etat qui peut s’y opposer. Face à la vague rebelle montante, Mohammed Naïm a sollicité l’an dernier l’aide du gouverneur de la province de Wardak, qui lui a envoyé 80 policiers en renfort.
« Ils sont partis au bout de quatre mois. Ils n’étaient pas payés par le ministère », regrette-t-il. « Avant, les policiers pouvaient aller partout. Aujourd’hui, ils ne vont même plus au marché de peur de se faire attaquer ».
Dans ce climat de peur, « un peu plus de 200 talibans suffisent à mettre au pas 70.000 habitants », déplore Mohammed Naïm.
Ce dernier a fini par démissionner à la fin 2008, et habite maintenant Kaboul. « Autrement, j’aurais été tué », dit-il. Aux dernières nouvelles, son successeur désigné à Jaratu se trouvait lui aussi dans la capitale.
emd/thm/bir
La guerre, le pouvoir, l’exil, le retour: parcours d’un taliban afghan
AU SUD DE KABOUL, 16 jan 2009 (AFP) – De la prise de Kaboul en 1996 au retour des talibans sur le devant de la scène depuis deux ans, Abdul Shafiq a connu les combats contre Massoud, la débâcle de 2001 et l’exil, avant de revenir les armes à la mains.
Né « un an avant l’invasion soviétique » de décembre 1979, il passe son enfance dans son Wardak natal, une province située au sud-ouest de Kaboul.
Après l’école publique, jusqu’à 13 ans, il passe six ans dans une école coranique (madrasa) où des professeurs « arabes » enseignent un islam rigoriste.
Il en sort à 18 ans en 1994, mûr pour rejoindre le mouvement taliban qui entame sa progression vers Kaboul. Il se rappelle l’entrée dans la capitale, « tous des gens qui étaient heureux de voir les talibans, des bons musulmans, mettre fin aux tueries, aux vols et aux viols des moujahidines ».
Il part aussitôt dans le nord, où quelques poches moujahidines résistent encore aux talibans. « Je ne savais rien faire d’autre que combattre », dit-il.
Le 11 septembre 2001, dans les montagnes du nord afghan, la radio des combattants talibans annonce que des avions détournés par Al-Qaïda ont frappé les Etats-Unis en plein cœur. « C’était très beau, délicieux à entendre, tout le monde était heureux », se rappelle-t-il en souriant.
« Mais nous ne nous attendions pas à ce qu’ils nous attaquent », ajoute-t-il. Et face au déluge de bombes américaines, « on a vite vu qu’on ne pouvait pas faire face ». Il s’enfuit en Iran.
Le régime iranien avait bien peu d’atomes crochus avec les talibans, si ce n’est une aversion commune pour les Etats-Unis.
Il en accueille pourtant des milliers, raconte Abdul Shafiq, tous regroupés ensemble dans des camps, organisés par des « hommes d’affaires ». « On ne sait pas qui ils étaient, mais c’étaient des amis des talibans », explique-t-il.
Il y restera quatre ans, jusqu’en 2005, avant de rentrer dans le Wardak. Aujourd’hui, selon des sources locales, plusieurs districts de cette province sont contrôlés ou très fortement sous influence de la rébellion.
emd/gir/dfg
Par Emmanuel DUPARCQ – KABOUL, 24 jan 2009 (AFP) –
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