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Afghanistan :Crise humanitaire. « Le système de santé s’effondre»

publié le 09/12/2021 | par Luc Mathieu

Alors que la situation humanitaire s’aggrave, les talibans demandent le retour de l’aide étrangère, sans annoncer les réformes espérées par la communauté internationale.

Soixante-quatorze lits et deux enfants par lit. Le service pédiatrique d’urgence de l’hôpital de Médecins sans frontières (MSF) d’Hérat, la grande ville de l’Ouest afghan, est débordé. Il n’accueille que les cas les plus graves : des bébés, le plus souvent âgés de moins de 2 ans, qui souffrent de malnutrition aiguë et de complications.

Lors d’un programme de distribution de nourriture aux environs de Kaboul, le 6 novembre 2021. (Hector Retamal /AFP)

Les enfants, amenés par leur mère elle-même malnutrie qui n’arrive plus à les allaiter, viennent non seulement de la ville et de la province d’Hérat, mais aussi des régions voisines de Badghis et de Ghor. «Nous allons doubler le nombre de lits, la situation est grave», dit Julie Faucon, responsable médicale de l’hôpital de MSF. En septembre, le taux de mortalité a atteint 20%, un enfant sur cinq.

Cette crise n’est pas une surprise. Les humanitaires l’avaient prédit dès cet été, alors que la sécheresse avait largement entamé les récoltes. Elle s’est aggravée dans les semaines qui ont suivi le 15 août et la prise de pouvoir par les talibans. La communauté internationale, prise de court par la rapidité de leur conquête et la débâcle des évacuations à l’aéroport de Kaboul, a coupé les financements internationaux et gelé les réserves de la Banque centrale afghane placées à l’étranger, attendant des gestes sinon de modération, au moins d’ouverture des nouveaux maîtres du pays.

Ils ont fait l’inverse, et nommé un gouvernement composé de la vieille garde des talibans déjà à l’œuvre entre 1996 et 2001 et de plusieurs membres du réseau Haqqani, la branche la plus violente du mouvement, à l’origine des attentats les plus sanglants qui ont frappé le pays ces quinze dernières années.

Depuis, le système financier s’est écroulé, à court de liquidités. «Les marchés sont approvisionnés en nourriture, mais les prix ont flambé et la plupart des gens n’ont tout simplement pas assez d’argent pour s’acheter à manger», explique Julie Faucon. Pour rejoindre l’hôpital de MSF à Hérat, des familles vendent tout ce qu’elles ont.

«Des bouts de ficelle»

Dans cette débâcle économique, le secteur hospitalier et sanitaire est l’un des plus touchés. Avant la prise de pouvoir des talibans, son budget était assuré à hauteur de 75% par l’aide internationale. «C’est une question de semaines avant qu’il implose», avertissait début octobre le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Peter Maurer. «On y est, le système s’effondre.

Les Nations unies déploient des financements mais ils sont très largement insuffisants, ce sont des bouts de ficelles, rien qui ne puisse garantir la stabilité», explique Sarah Chateau, responsable du programme Afghanistan pour MSF. Les salaires des hôpitaux et centres de santé dépendant du gouvernement n’ont pas été versés depuis cinq mois.

Les talibans blâment, eux, le gouvernement qu’ils ont renversé. «Un problème très important, hérité de l’ancien régime, est la malnutrition, a déclaré le vice-ministre de la Santé, Abdul Bari Omar, lors d’une conférence de presse à Kaboul lundi. Pendant vingt ans, le secteur de la santé est resté dépendant de l’aide étrangère. Aucun travail de base n’a été effectué. […] Aucune usine n’a été construite, les ressources nationales n’ont pas été utilisées.»

Le vice-ministre, comme plusieurs autres officiels talibans ces dernières semaines, a appelé la communauté internationale à reprendre ses financements. «Comment pouvons-nous fournir des services si les ressources étrangères sont réduites et si les organisations internationales coupent leur aide ? La Banque mondiale, l’UE et Usaid [l’Agence américaine pour le développement international, ndlr] ne tiennent pas les promesses faites au peuple afghan. Ce n’est pas possible.»

Plus de trois millions d’enfants malnutris
Ce mercredi, le ministre des Affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi, a écrit une lettre ouverte au Congrès américain pour demander que les huit milliards d’euros de la Banque centrale afghane actuellement gelés soient libérés. «Si la situation actuelle perdure, le gouvernement et le peuple afghans […] deviendront une cause de migration massive dans la région et dans le monde, ce qui créera d’autres problèmes humanitaires et économiques», a-t-il affirmé.

Face à l’urgence, l’Union européenne a annoncé le 12 octobre une aide d’un milliard d’euros. Celle-ci ne sera pas versée au gouvernement afghan, mais à des pays tiers et à des organisations humanitaires. «Où est cette aide concrètement ? Nous ne l’avons pas vu arriver en Afghanistan», dit Sarah Chateau.

Alors que l’hiver s’installe, le Programme alimentaire mondial a calculé que 3,2 millions d’enfants de moins de 5 ans souffriront de malnutrition aiguë d’ici la fin de l’année.


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