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Afghanistan: Elaha, chanteuse et femme rebelle.

publié le 29/04/2009 | par Emmanuel Duparcq

Elaha ne gagnera pas la « Star academy » afghane cette année. Mais la jolie chanteuse de 20 ans jure qu’elle n’abandonnera jamais la scène, malgré des menaces venues parfois de sa propre famille, et au nom de la liberté des femmes afghanes à décider de leur sort.


Elle est assise à même le sol, le corps hoquetant de sanglots, la tête enfouie dans les bras, effondrée dans un recoin gris et oublié des coulisses.
La caméra, impudique, la filme en gros plan. Le son, poussé au maximum, fait résonner sans grande finesse les pleurs désespérés de la favorite déchue.

Quelques minutes plus tôt, la populaire Elaha Sorur venait d’être éliminée de la quatrième saison d' »Afghan star ». Un coup de théâtre auquel la seule femme parmi les huit derniers candidats en lice ne s’attendait pas.
Depuis le début de la saison, il y a trois mois, la longue silhouette et le joli minois de la petite hazara (une minorité afghane de type mongol) avait pourtant largement séduit les fans de l’émission, cette « génération internet » urbaine, éduquée et occidentalisée qui a émergé depuis 2001.

Une semaine avant, elle faisait encore chavirer les 400 spectateurs du grand hall où la chaîne Tolo TV enregistre ces deux émissions hebdomadaires.
Elaha, en veste et jupe de jean et bottines rouges, une écharpe multicolore en guise de foulard sur les cheveux, se produit sur les paroles épicuriennes du célèbre chanteur afghan Farhad Darya, invité du jour.

« Le temps passe, la saison des fleurs aussi/Le temps passe, il reviendra/ Mais le jeune aura vieilli », fredonne-t-elle, ondulante et souriante.
Succès garanti, et hommage remarqué du « maître » Darya: « J’admire ton courage, dans un pays où les traditions confinent les femmes au foyer. Elaha, tous les musiciens afghans sont avec toi ! »

Au bord de la scène, Sona, une étudiante de 20 ans, maquillage, paillettes et sac à main, votera Elaha « parce qu’elle a besoin de soutien ».
La beauté asiatique de la chanteuse, pommettes hautes, yeux noirs en amandes et longs cheveux de jais parsemés de petites mèches blondes, n’est pas étrangère à son succès. « J’aime, euh… son style », sourit Abdul Tarim, 22 ans.

Juges et fans sont unanimes: jamais une candidate d' »Afghan Star » n’avait montré un tel talent sur scène.
Née à Kaboul, sous le prénom de Mariam, elle a passé ses 14 premières années en Iran, une « vie normale » entre un père ancien pilote de l’armée afghane reconverti dans les affaires, et une mère au foyer avec ses six enfants.

Elle a raconté à l’AFP son retour difficile en Afghanistan, où elle souffre d’un double handicap: être une femme, et vouloir faire de la chanson, une activité déviante aux yeux des radicaux islamistes.
« Mais, je me suis accrochée », dit-elle. En 2004, elle rejoint un groupe de musiciens. Quatre ans plus tard, elle est retenue au casting d' »Afghan Star », prenant au passage le nom de scène d’Elaha (« déesse », en persan).

Elle admet que sa vie a « beaucoup changé en trois mois ». Les messages d’amour, les demandes en mariage ? Elle éclate de rire: « Oui, cela arrive ».
Mais tous ne lui veulent pas du bien. Un inconnu l’a menacée au téléphone de venir lui « jeter de l’acide » au visage. « Un de mes oncles a même menacé de me tuer », dit-elle.

Elle n’en a cure. « Rien ne pourra m’empêcher d’offrir ma musique aux gens. La musique leur ouvre l’esprit, les fait évoluer. Et je veux que les Afghanes n’aient plus honte d’être des femmes », assène-t-elle.
Jusqu’au bout, elle se disait « sûre de gagner ».

Las ! Le rêve ne s’est pas réalisé. Plusieurs hypothèses sont évoquées: campagne de vote (par SMS) mieux organisée chez ses rivaux, démobilisation de ses supporters trop sûrs d’eux, pressions conservatrices…
L’annonce du verdict l’a laissée sidérée. Mais elle a lancé au public: « Vous verrez bien qui sera la star plus tard. Vous entendrez mes chansons! »*

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