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Afghanistan: Intimidations et ségrégation : les femmes en marge forcée

publié le 06/12/2021 | par Luc Mathieu

Par Luc Mathieu.

Si les talibans ont longuement assuré que les femmes auraient une place dans la société, leurs premières mesures les éloignent de l’éducation, du travail et de la rue.

Les talibans ont gagné, au moins temporairement. Il n’y a plus de manifestations de femmes dans les rues de Kaboul et des grandes villes afghanes. Ils n’ont pas simplement décrété leur interdiction, ils les ont réprimées à coups de tuyaux en plastique, de menaces, d’arrestations et de passages à tabac des journalistes afghans qui les couvraient.

Le 9 septembre, plusieurs rassemblements étaient prévus dans la capitale. Aucun n’a eu lieu. Les talibans avaient coupé Internet, et parfois les appels téléphoniques, dans les quartiers de Dasht-e-Barchi, Taimani et Khair Khana.

«Nous avions l’habitude de nous organiser via des groupes Facebook. Mais ce jour-là, nous n’avons même pas pu nous appeler pour nous retrouver», dit Zeinab, étudiante en photographie. Selon un homme politique afghan qui a ses entrées dans le nouveau gouvernement, l’ordre avait été donné de réprimer sans retenue les manifestations et celles qui y participaient.

Zeinab était là deux jours plus tôt, dans la rue principale de Dasht-e-Barchi, quartier peuplé en majorité d’Hazaras, une minorité ethnique chiite, avec quelques dizaines d’autres femmes. Elles avaient défilé durant une heure, avec des pancartes et des slogans : «Education, travail, liberté», «la liberté est notre devise, elle nous rend fières» ou encore «s’il vous plaît, soutenez-nous pour les droits des femmes».

Autour d’elles, des groupes de talibans de plus en plus furieux, non pas tant à cause des revendications mais parce que des femmes osaient hurler dans leur direction. «Ils nous ont tapées et insultées avec des expressions tellement horribles que je ne peux pas les répéter, raconte Zeinab. Tout ce que nous voulons, c’est leur montrer que nous ne nous laisserons pas faire, que nous ne reviendrons pas vingt ans en arrière.

Le pays a changé, nous avons changé. C’est aussi un moyen d’alerter les pays étrangers. Mais pour l’instant, aucun ne nous soutient, pas plus que les ONG ou les associations de femmes.»

La manifestation vient de se disperser ce 7 septembre, il ne reste que quelques petits attroupements qui se désagrègent à pas rapides dans des directions opposées. Zeinab voit soudain trois talibans traverser la rue en courant. L’un d’eux semble un peu plus âgé, une bonne trentaine d’années, les cheveux longs ceints d’un bandeau, les yeux exorbités de rage.

Il crie, s’approche frénétiquement d’une femme puis d’une autre, déploie un tuyau en plastique et se met à taper aussi fort qu’il le peut. Un autre arrache les appareils photo. Tout le monde part en courant, la manifestation est, cette fois, vraiment finie.

Aucune femme nommée au gouvernement
Durant les deux années qu’ont duré les négociations avec les États-Unis à Doha (Qatar), avant d’aboutir au retrait des armées étrangères, les talibans n’ont cessé de répéter que les femmes auraient une place dans la société afghane qu’ils imaginaient. Un discours d’autant plus indispensable qu’ils ont un besoin vital de l’aide internationale pour gouverner un pays ravagé par quarante ans de guerres et dont la quasi-totalité des habitants auront moins d’un dollar par jour pour survivre d’ici le milieu de l’année prochaine, selon l’ONU.

Impossible pour les talibans d’afficher ouvertement la volonté de revenir à leurs pratiques du milieu des années 90, lorsqu’ils étaient au pouvoir et que les femmes avaient été exclues de tout, cantonnées chez elles sans accès à l’école, à l’université ou au travail.


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