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Afghanistan: l’Achoura sanglante des chiites.

publié le 18/04/2009 par Emmanuel Duparcq

Le vieil Ali Mohammed a d’abord geint, mains au ciel, offrant ses larmes au martyr Abbas, que les chiites de Kaboul honoraient en ce jour d’Achoura. Puis il a pris ses chaînes équipées de lames d’acier aiguisées et s’est lacéré le dos, qu’il a inondé du sang du sacrifice.

Quelques secondes plus tôt, le vénérable Mollah Sayed Mohsin Hojjat venait à peine d’achever son prêche qu’une agitation aux airs de panique a gagné la mosquée de Takiakhane-Omumi, nichée entre deux collines saupoudrées de neige.
La plupart des fidèles quittent prestement le centre de la salle principale, alors que la mosquée s’emplit d’un incessant bruit de cliquetis de chaînes.

Derrière eux, une centaine d’autres la plupart jeunes et athlétiques, ont déjà bondi, torse nu. Prêts à offrir leur souffrance à la mémoire d’Abbas, frère de l’imam Hussein, petit-fils du Prophète, martyr tombé au combat honoré en ce septième jour de la fête de l’Achoura.

Tous envoient aussitôt violemment leurs chaînes en arrière, qui viennent creuser sur leur dos les premiers sillons carmins du sacrifice.
La flagellation est d’abord anarchique, avant que les pénitents se s’accordent peu à peu pour s’entailler en mesure, au rythme des chants sacrés.

« Oh Abbas, tu es mon esprit/Oh Abbas, tu es le chef de mon armée », chante le mollah repris en choeur par plus de 2.000 fidèles. « Shling! », lui répond à chaque scansion la nuée des lames qui élargit chaque fois un peu plus les entailles sur les dos ensanglantés des pénitents.
Quelques minutes auparavant, l’élégant mollah Hojjat, longue tunique verte et turban noir, avait tout fait pour les galvaniser, faisant l’éloge de l’humilité de l’islam et du pénitent, non sans y ajouter un grain de politique.

« L’islam dit qu’il faut s’occuper des pauvres, mais les gens au pouvoir n’en ont cure. Ils prennent l’argent et s’enferment dans des maisons luxueuses avec des gardes armés. Ce n’est pas ce que l’islam dit », avait-il asséné.

Dix minutes de flagellation, et certains dos ne sont plus que rivières pourpres. Un homme slalome entre les pénitents, armé d’un seau d’eau rouge vif et d’un unique foulard qu’il applique de dos meurtri en dos meurtri.

La mosquée est maintenant imprégnée d’une tenace odeur de boucherie.
Après vingt minutes de mutilation frénétique, les fidèles harassés se laissent enfin tomber à genoux sur le carrelage ensanglanté.
On y retrouve le corps malingre du quinquagénaire Ali Mohammed, cheveu rare et la barbiche poivre et sel, qui a tenu bon. « Je le fais pour Abbas et Hussein. Je n’ai rien, mes mains sont vides, je n’ai que leur amour en moi », dit le vieil homme édenté, aussi épuisé qu’épanoui.

Faut-il se mutiler pour l’Achoura? En Iran, des mollahs influents ont décrétée cette pratique interdite. Mais bien des mosquées de Kaboul se sont gardées de les suivre. « C’est un débat académique, qui ne concerne pas directement les gens », estime le mollah Hojjat.
« La pratique est populaire. Si certaines mosquées l’interdisent, les fidèles iront se lacérer ailleurs. Aucune d’elle ne veut prendre ce risque », explique un habitué des lieux.

Il semble en aller de même pour la séparation entre hommes et femmes, qui ne doivent en principe voir les corps masculins étrangers.
La mosquée semble avoir pris les devants en installant une bâche le long des deux étages de mezzanines, réservés aux femmes et qui surplombent le rez-de-chaussée des hommes.

Mais ce jour-là, elle sont plus d’une centaine, dont beaucoup de jeunes, à triturer méthodiquement la bâche pour pouvoir observer les éphèbes en action.

« Les jeunes en profitent pour s’observer, c’est toléré. Et les garçons montrent leur force », explique l’habitué des lieux.
La plupart des pénitents se sont flagellés comme de coutume face au centre de la pièce. Mais d’autres, jeunes, avaient le corps et le regard plutôt tournés vers les côtés, en haut.
Vers la bâche, et les petites mains délicates qui s’y agrippaient.

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