Afghanistan: Shahir l’espion.
Dans la voiture qui l’emmenait dans les montagnes du Wardak, Shahir l’espion afghan se savait perdu. Il venait d’être démasqué par les talibans et n’avait aucun doute sur son sort. A un détail près: allait-il être abattu par balle, pendu ou lapidé ?
En ce soir de novembre, une seconde d’inattention a suffi pour mettre fin à la carrière de cet homme chargé depuis 2004 par les Américains ou le gouvernement afghan de surveiller les mouvements des talibans, selon un récit recueilli par l’AFP.
Chaque fois qu’il repérait une de leurs cachettes, Shahir Khan (un nom d’emprunt), muni d’un discret GPS ressemblant à un téléphone portable, en notait la latitude et la longitude précises.
Il s’éclipsait alors discrètement pour les transmettre à ses employeurs, lesquels, lorsqu’ils étaient Américains, bombardaient parfois aussitôt la zone.
Payé un peu plus de 1.000 dollars par mois, il opère d’abord dans le sud du pays, avant de retourner en 2006 chez lui, dans le Wardak, au sud-ouest de Kaboul.
Il infiltre alors un groupe de talibans mené par un certain Timur, déterminé à aider les autorités à chasser ces « voleurs » qui « n’ont plus rien à voir avec les talibans d’autrefois » et sont en passe de contrôler son district de Jaratu.
Pendant plus d’un an, il les voit terroriser les populations, tuer « des dizaines de gens », chefs tribaux, chauffeurs de camions interceptés sur la route, otages dont la famille ne peut payer la rançon.
Un jour, il voit passer « 21 motos bourrées d’explosifs » destinées à des attentats dans plusieurs villes. Le soir même, le groupe taliban doit se retrouver chez lui pour discuter de ce plan d’attaque. Après le dîner, il laisse ses invités et sort discrètement de la maison.
Il appelle alors le gouverneur de la province pour le prévenir. Quelques secondes qui le perdent: un des gardes talibans, venu se soulager derrière la maison, surprend la conversation.
« Ils m’ont ordonné de me mettre au volant de ma voiture, dans laquelle ils sont montés. Je me demandais juste comment j’allais mourir, si ce serait d’une balle dans la tête, la pendaison, ou la lapidation », dit Shahir dans son récit.
Toute l’histoire a été confirmée à l’AFP par plusieurs sources, dont le chef du district de l’époque, Mohammed Naïm, qui se rappelle que « l’espion a été emmené par les talibans pour être exécuté ».
Plus d’un an a passé depuis cette funeste soirée. Mais l’homme massif à la barbe touffue rencontré en ce début d’année dans un restaurant de Kaboul en rit désormais à gorge déployée. « Tout ça parce qu’un taliban a eu une envie pressante, et qu’il faisait noir ! C’est fou ! », pouffe Shahir Khan.
Car il a survécu. Au terme d’une évasion rocambolesque confirmée par plusieurs témoignages.
Shahir évoque juste un « accident de voiture » qui lui aurait permis de s’échapper, sans en dire plus.
Mohammed Naïm est plus précis: « Dans un virage, il a précipité sa voiture dans un fossé. Plusieurs talibans ont été blessés. L’espion a crié qu’il s’était cassé le pied, les talibans ne se sont donc pas souciés de lui et se sont occupés de leurs blessés. Et quand ils ont eu le dos tourné, il s’est échappé ». Puis a dû passer deux jours et une nuit glaciale planqué dans ses montagnes natales.
Il dit aujourd’hui n’avoir reçu « aucune aide des Américains », qui lui avaient pourtant « promis » de s’occuper de lui « en cas de pépin ».
Le gouverneur du Wardak a été plus reconnaissant, et lui a trouvé un emploi de chauffeur à Kaboul.
Shahir Khan a aujourd’hui 46 ans et gagne 7.000 afghanis (140 dollars) par mois. Pas de quoi faire venir sa femme, ses six fils et deux filles à Kaboul. Il espère bientôt mieux mais rêve d’avoir un jour assez de pouvoir et d’armes pour aller chasser les « voleurs » de « son » Wardak.
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