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Afghanistan. Terrorisme. L’État islamique toujours plus menaçant

publié le 27/11/2021 | par Luc Mathieu

Par Luc Mathieu.       Après l’ attaque à la bombe dans une mosquée dans la province de Kunduz.

Il y a l’antienne officielle des dirigeants talibans : l’État islamique, et la résurgence de ses attentats et assassinats, ne constituent qu’un sujet d’inquiétude, et non une menace. Et il y a l’analyse des services de renseignement américains, bien plus pessimiste.

Daech, moribond en 2019, se renforce en Afghanistan, au point de pouvoir frapper à l’étranger, y compris aux États-Unis. D’après le sous-secrétaire américain à la Défense Colin Kahl, auditionné le 26 octobre devant le Congrès, l’organisation jihadiste pourrait en être capable «dans les six à douze mois».

La lutte contre les groupes jihadistes implantés en Afghanistan est la condition majeure de l’accord signé entre les États-Unis et les talibans le 29 février 2020 à Doha, au Qatar. C’est cet accord qui a abouti au retrait des forces étrangères après vingt ans de présence et au retour au pouvoir des talibans mi-août.

L’État islamique au Khorasan multiplie les attentats d’envergure

Leur détermination à éliminer Daech ne fait pas de doute. Les deux organisations sont plus que rivales, elles se haïssent. Dès son irruption en 2015, l’État islamique au Khorasan (EI-K) s’est implanté sur des terres talibanes, dans les provinces de Kunar et de Jalalabad (Est), puis dans le Helmand (Sud). Au fil des années et des exactions, les talibans ont commencé à riposter. Jusqu’à une guerre totale qui a abouti fin 2019 à la quasi-élimination de Daech dans le pays.

«Ils n’ont pas leur place ici, nous traquons leurs combattants qui se cachent», expliquait en septembre à Libération le mollah Mohammad Neda, gouverneur de la province de Nangarhar. Selon lui, entre 70 et 80 membres de Daech avaient été arrêtés en deux semaines. Ce message rassurant a depuis été porté par plusieurs dirigeants de premier plan dont le vice-ministre de la Culture et de l’Information, Zabihullah Mujahid, et son collègue des Affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi.

Le Pentagone estime que la branche afghane de Daech, qui s’oppose violemment aux talibans, pourrait être capable de frapper les États-Unis dans six à douze mois.

Les faits démentent cette version. Depuis la fin août, l’EI-K a multiplié les attentats d’envergure, que ce soit à l’aéroport lors des opérations d’évacuation, dans des mosquées à Kunduz (Nord), Kandahar (Sud) et Kaboul, lors d’une cérémonie funéraire pour la mère de Zabihullah Mujahid, et mènent une campagne d’assassinats dans le Nangarhar. Ils ciblent prioritairement la communauté chiite, mais s’attaquent aussi à des talibans.

Leur résurgence tient d’abord à des rangs regarnis à la faveur de la conquête du pays par les talibans. Lors de leur offensive lancée en mai, ceux qui étaient encore des insurgés ont libéré les prisons du pays à mesure qu’ils progressaient. «Au début, ils éliminaient ou gardaient prisonniers les militants de Daech qui étaient emprisonnés. Mais à partir du début du mois d’août, ils ont laissé partir tout le monde, sans que l’on comprenne pourquoi. Plusieurs milliers d’entre eux se sont retrouvés dans la nature», explique un diplomate occidental.

Washington négocierait un accord avec le Pakistan pour utiliser son espace aérien

L’autre explication tient à la solitude des talibans dans leur combat. Avant leur prise de pouvoir, une alliance informelle s’était nouée entre eux et les forces gouvernementales afghanes. L’armée américaine se chargeait, elle, des bombardements aériens par avions ou drones. L’EI-K était alors l’ennemi commun. Mais depuis le retrait des armées étrangères, les talibans se retrouvent seuls.

L’armée américaine peut toujours bombarder et surveiller, mais elle doit envoyer ses drones depuis le Golfe. Selon CNN, Washington négocierait un accord formel avec le Pakistan pour utiliser son espace aérien afin de frapper en Afghanistan. Mais rien ne dit que les discussions aboutissent, Islamabad, et plus particulièrement ses services de renseignement militaires (ISI, Inter-Services Intelligence) étant le principal soutien des talibans dans la région.

Ces derniers mois, les talibans ont multiplié les raids contre des cellules de l’EI-K, notamment à Kaboul. Ils se sont aussi attaqués aux militants salafistes, arrêtant ou tuant plusieurs d’entre eux et fermant certaines de leurs mosquées et madrassas (écoles coraniques). Selon une source sécuritaire à Kaboul, ils traquent les militants infiltrés dans leurs rangs.

Ils continuent en revanche à refuser, officiellement, toute coopération avec les États-Unis. «Nous n’avons pas besoin de l’aide ou de la coopération américaine pour combattre Daech», a assuré le 10 octobre Zabihullah Mujahid.

Washington semble en douter. «Notre évaluation est que les talibans et l’État islamique au Khorasan sont ennemis. Et que les talibans sont très motivés pour les combattre, a déclaré le 26 octobre Colin Kahl devant le Congrès. Mais leur capacité à le faire reste, je pense, sujette à caution.»

 

 

 

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