« Une semaine en août »…les images fortes de la Libération de Paris
L’AFP propose une formidable exposition photo pour le 80e anniversaire de la Libération de Paris. Jusqu’au 2 novembre prochain. A ne pas manquer.
Le 80e anniversaire de la Libération de Paris, qui coïncide avec la date de création de l’Agence France-Presse (le 20 août 1944), a été célébré en 2024 avec force documentaires, films, témoignages et ouvrages en tout genre. L’AFP nous propose un dialogue entre les photos de ses journalistes et celles d’amateurs collectées par Alain Eymard et Laurent Fournier, qui nous apporte autre chose.
Dialogue photographique entre le fonds AFP et la collection Fournier-Eymard

Dès le 18 août 1944, le déclenchement de l’insurrection pour la Libération de Paris s’accompagne d’une floraison d’affiches dans les rues de la capitale. Les appels à la mobilisation s’y multiplient. (Photo AFP)

Évacuation d’un FFI blessé après une embuscade au carrefour de la rue du Faubourg-Montmartre, de la rue de Montyon et de la rue Geoffroy-Marie dans le IXe arrondissement. (Photo AFP)
L’Histoire à la loupe
À la manière d’un détective sorti de la « Série noire », Alain Eymard examine les photographies de près, à la loupe si nécessaire. Le fringant septuagénaire, casquette vissée sur la tête, arpente l’exposition de l’AFP présentée à l’automne 2022 à Paris en prenant des notes sur son cahier d’écolier. Une exposition issue des archives argentiques de l’agence qui balaie plusieurs décennies en montrant que les photographes couvrant les actualités sont aussi des auteurs, et que leurs images ont, en toute légitimité, leur place sur les cimaises comme dans l’histoire de la photo. Mais ce n’est pas la préoccupation d’Alain Eymard quand il scrute les clichés de la Libération de Paris accrochés dans la galerie du Marais.

Place de la Concorde, le 26 août, un char allemand Panther calciné après l’unique combat de chars livré la veille.(Collection Fournier-Eymard / AFP)
Son attitude intrigue les organisateurs qui viennent à sa rencontre afin de comprendre ce drôle de visiteur. « Cette photo ne peut pas être du 24 août 1944, car ce matin-là, il pleuvait », affirme Alain avec son accent de titi parisien. Interloqués, les commissaires de l’exposition, Marielle Eudes et Christophe Calais, découvrent alors un véritable connaisseur de la Libération de Paris et sa « semaine héroïque », du 19 au 25 août 1944. De cette rencontre naîtra ce projet en 2024.
Se définissant plus comme documentaliste qu’historien, le retraité de la RATP raconte avec passion la manière dont il a rassemblé, avec son complice Laurent Fournier – lui aussi retraité, mais dans l’aéronautique –, des photos d’amateurs de cette période. Des clichés acquis sur Leboncoin, eBay ou dans des salles des ventes, qu’il range dans des classeurs bleus, blancs et rouges.

Portrait d’un FFI au « carrefour de la mort », à l’angle du boulevard Saint-Michel et du boulevard Saint-Germain, le 23 août 1944. (Photo AFP)
Des images qu’il « fait parler » en les observant à la loupe, en traquant les détails qui s’y cachent (enseignes, bâtiments, noms de rue…), des informations qu’il croise avec son bottin chiné chez un bouquiniste répertoriant les commerces et les professions de la Seine en 1941 – territoire qui regroupait à l’époque Paris et ses trois départements limitrophes : 92, 93 et 94. Il identifie les lieux, les jours et même les heures parfois. Un travail minutieux destiné à établir avec le maximum d’exactitude la réalité de ces journées historiques. Ses connaissances lui permettront de corriger certaines légendes de l’AFP.

Les troupes du général Leclerc s’emparent de la tour Eiffel avant l’attaque de l’École militaire. (Collection Fournier-Eymard / AFP)
. La collection de photos rassemblée avec Laurent Fournier est riche d’environ 7 000 clichés ! Une partie de ces images dialoguent ici avec les photographies prises par les professionnels de l’AFP. Celles cadrées par les reporters nous rapportent les événements historiques avec fidélité : construction de barricades, préparation de cocktails Molotov, interrogatoire de Sacha Guitry, arrestations de soldats allemands, défilé du général de Gaulle sur les Champs-Élysées… D’un autre côté, les épreuves d’amateurs, avec leurs bords crénelés et leur teinte délavée, débordent d’émotions et de notations manuscrites, donnant à ces instants un sentiment troublant de densité historique. Comme une tranche de temps prélevée dans le flux des événements, une surface éminemment sensible qui continue de frissonner sous nos yeux.
Des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) en position avec un fusil-mitrailleur britannique Bren dans un appartement parisien. (Photo AFP)
À l’image de ces deux enfants se tenant par la main, rue d’Assas, à côté d’un blockhaus en partie détruit. Comme l’arrestation de ce tireur des toits saisi dans le flou du mouvement, traduisant l’intensité de moment. Comme ces séquences où le tremblement des images révèle le courage et la bravoure des photographes amateurs risquant leur peau pour témoigner de ces moments de l’Histoire. Sans oublier, au coeur de cet ouvrage, le fac-similé d’un album réalisé par un Parisien où chaque photo est légendée avec précision.
Le 26 août 1944, sur les Champs-Élysées, avant le défilé du général de Gaulle. (Collection Fournier-Eymard / AFP)
Le 80e anniversaire de la Libération de Paris a été célébré en 2024 avec force documentaires, films, témoignages et ouvrages en tout genre. Sa date coïncide avec la création de l’Agence France-Presse le 20 août 1944 : sa première dépêche reproduite en ouverture de ce catalogue l’atteste. Le dialogue proposé par l’AFP entre les photos de ses journalistes et celles d’amateurs collectées par Alain Eymard et Laurent Fournier nous apporte autre chose. Cette conversation visuelle vient démontrer pour celles et ceux qui l’auraient oublié que si les photographies demeurent une source irremplaçable quant à l’établissement de vérités historiques, elles sont aussi un puissant vecteur d’émotions.
Elles saisissent, l’air de rien, un peu de l’air du temps. Un air rendu plus léger par l’imminence d’une libération trop longtemps attendue. « Après des années de rationnement, les Parisiens sont heureux de pouvoir manger à nouveau du pain blanc », précise une légende de l’AFP, en guise de contrepoint. Sur la photo en noir et blanc, des enfants en culottes courtes mordent avec délectation dans une baguette. Espérons que, quatre-vingts ans plus tard, il nous reste encore un peu de ce pain blanc.
par Éric Karsenty. Correspondant de l’Académie des beaux-arts
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