Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Algérie: Bataille contre le silence.

publié le 07/04/2007 par Jean-Paul Mari

Au moment où les Algériens se rendent aux urnes dans un climat de terreur, quatre grandes ONG lancent une campagne pour l’ouverture d’une enquête sur les violences qui ensanglantent le pays

Comment savoir ce qui se passe vraiment à une heure d’avion à peine de Marseille ? Comment réagir face à cette boucherie d’un autre âge aux portes d’une grande capitale de la Méditerranée ? Depuis plus de cinq ans, à la nuit algérienne ne répond que l’obscurité diplomatique, les intérêts trop bien pesés et la frilosité des chancelleries. Pendant ce temps-là, de brèves informations concédées ou arrachées à la censure nous égrènent chaque jour un chapelet d’Oradour-sur-Glane qu’on ne nous racontera jamais : « Des milliers de personnes – femmes, enfants démunis, personnes âgées – ont été massacrées avec une brutalité hors du commun… égorgées ou brûlées vives dans leur maison… Leurs appels au secours n’ont été entendus ni chez eux ni au-delà de leurs frontières nationales… Dans l’indifférence de la communauté internationale », écrivent ensemble pour la première fois quatre ONG (Amnesty International, Fédération internationale des Droits de l’Homme, Human Rights Watch, Reporters sans Frontières), qui accusent les groupes armés islamistes, les services de sécurité algériens et les milices armées par l’Etat. Et après ? Condamner la « barbarie », c’est bien, et tout le monde est toujours d’accord. Mais qu’y a-t-il derrière les mots « barbarie », « violence », « victimes », « assassins » ?
Et d’abord, qui sont réellement les victimes ? Pourquoi les massacre-t-on ? On ne sait rien d’elles. Elles n’apparaissent que sous la mention anonyme de « terroristes abattus », ou derrière le nom d’un village accolé à une photo de femme algérienne folle de douleur, image de Pietà symbole du malheur. Et après ? A la plus timorée des demandes d’explication sollicitées par un homme politique ou un humanitaire français répond inéluctablement l’indignation d’Alger qui crie à l’« ingérence », pour ne pas dire au complot, et renvoie brutalement Paris dans les cordes de son passé de colonisateur. Ne restent que le malaise, la consternation honteuse, la culpabilité d’hier étouffant la culpabilité d’aujourd’hui, une forme de confort intellectuel par défaut.
Comment lutter contre une violence que l’on n’a pas les moyens de comprendre ? D’abord il faut savoir. « Nous demandons aux Etats membres de l’Union européenne d’oeuvrer afin qu’une session extraordinaire de la Commission des Droits de l’Homme et une enquête internationale deviennent des réalités », écrivent les quatre ONG dans leur texte commun.
Commission d’enquête en Algérie ? Pour en arriver là, il faudrait une décision internationale et un accord du gouvernement algérien. La décision pourrait être prise dans le cadre du Conseil de Sécurité : « C’est une mauvaise solution, explique un responsable humanitaire. On va retomber dans les jeux des Etats et les interférences politiques. » Reste la Commission des Droits de l’Homme de Genève… mais elle ne siège qu’une fois par an, au début du printemps. C’est loin. Il faut donc la convoquer en session extraordinaire. Ce n’est pas impossible : Mary Robinson, le nouveau haut-commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme, est réputée ouverte et très combative. « Ensuite il faudrait confier cette mission à des personnalités solides et d’expérience », un Boutros Boutros-Ghali par exemple… Des hommes qui devront résister aux pressions, analyser la réalité des faits, faire la part des massacres, des disparitions, des arrestations, des assassinats.
Et il y a urgence : « Il faudrait envoyer une commission dès novembre prochain pour obtenir un rapport avant la fin de l’année », dit Patrick Baudouin, responsable de la FIDH. Mais personne ne se fait d’illusions sur un accord éventuel d’Alger à ce projet. « Le pouvoir algérien a toujours dit non à toute idée d’une démarche internationale. Pour lui, il s’agit d’un problème interne. Tout le reste est de l’ingérence. » Voilà plus de cinq ans qu’Alger répète que les extrémistes islamistes sont responsables de toutes les exactions ; les ONG veulent désormais obliger le pouvoir algérien à assumer son discours : « Si c’est vrai, Alger a tout à gagner à ce que cela soit constaté par une commission internationale. Sinon, en cas de refus, on peut penser que les accusations qu’on entend sur les responsabilités du pouvoir dans les violences sont justifiées. » Des pressions sont possibles. Car il est difficile aujourd’hui pour un pays de refuser en bloc une commission d’enquête décidée par la communauté internationale. D’autant que d’ici à la fin de l’année l’Algérie doit négocier des accords de coopération économique avec l’Union européenne. La stratégie proposée n’est pas de supprimer l’aide économique à l’Algérie, mais d’obtenir que l’on avance sur le terrain de la coopération économique en même temps que dans le domaine des droits de l’homme.
En cinq ans d’horreur, le mur du silence a fini par s’effriter. Il s’agit maintenant d’aller au-delà des mots. « Aujourd’hui nous en sommes à une prise de conscience sur l’Algérie, dit Christian Gay-Bellile, de l’association Action humanitaire. Je suis, comme tous les Français, profondément écoeuré par le massacre d’enfants égorgés au bord d’une route à côté de leur bus d’école. Comme je ne supporte plus l’idée que des militaires entourent un village et n’interviennent pas alors qu’un massacre se déroule sous leurs yeux. » C’est pour cela que son association a lancé avec l’aide de grandes ONG, d’associations culturelles et de plusieurs villes une série de manifestations en France pour le 10 novembre, « Un jour pour l’Algérie », avec débats dans les écoles, spectacles et procession aux flambeaux… « pour faire la lumière ». Les organisateurs prévoient plusieurs dizaines de milliers de personnes. Parce que, disent-ils, devant une tragédie d’une telle ampleur à nos portes, on ne peut plus confier les prochaines victimes aux soins exclusifs des gouvernements et de leurs chancelleries et qu’« il est temps pour nous, citoyens, d’assumer nos devoirs face au peuple algérien. »

JEAN-PAUL MARI


COPYRIGHT LE NOUVEL OBSERVATEUR - TOUS DROITS RESERVES