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Algérie : le pouvoir en guerre contre ses écrivains francophones

publié le 26/11/2024 par grands-reporters

Sur fond de conflit franco-algérien et de répression tous azimuts, deux célèbres écrivains se retrouvent sous le coup d’une justice algérienne instrumentalisée

Kamel Daoud poursuivi pour « viol de l’intimité« 

Kamel Daoud, écrivain renommé et lauréat du prix Goncourt 2024 pour son roman Houris, est visé par des poursuites judiciaires pour « viol de l’intimité ». Selon Me Fatima-Zohra Benbraham, avocate de la plaignante Sâada Arbane, une ancienne victime du terrorisme, égorgée à l’âge de six ans lors du massacre de sa famille. L’auteur aurait utilisé sans autorisation l’histoire personnelle et le traumatisme de cette dernière pour nourrir son œuvre. Lors d’une conférence de presse tenue le 21 novembre, Me Benbraham, virulente figure médiatique connue pour ses plaidoyers en faveur de la reconnaissance des crimes coloniaux, a dénoncé « une tentative infâme d’altérer l’image de l’Algérie, de porter atteinte à ses valeurs et à la mémoire d’un peuple ».

Boualem Sansal arrêté pour « atteinte à l’unité nationale« 

Quant à Boualem Sansal, écrivain de 75 ans et lauréat de deux grands prix de l’Académie française (le prix de la Francophonie en 2013 et celui du Roman en 2018), il a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre dernier. Il est accusé d’« atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale », pour des propos tenus sur une chaîne française d’extrême droite, où il aurait soutenu « la marocanité de l’ouest algérien ». Cette position, décrite comme « farfelue » par des historiens de renom, alimente une guerre médiatique entre l’Algérie et le Maroc, exacerbée par le différend autour du Sahara occidental.

« Vendus à la France »

Pour une partie des Algériens, Kamel Daoud et Boualem Sansal symbolisent une élite perçue comme « vendue à la France« . Le régime, par un contrôle strict de l’information, alimente ces accusations. Le célèbre écrivain Rachid Boudjedra, connu pour son athéisme et son opposition à l’islamisme, a qualifié Daoud de « méprisant envers son peuple et sa langue maternelle, pour plaire aux éditeurs français ». Il faut préciser que la langue arabe classique, enseignée en Algérie, est une langue liturgique, la langue du Coran, distincte des dialectes locaux. L’enjeu linguistique, couplé au traumatisme colonial, complique davantage le débat sur la francophonie en Algérie.

Une instrumentalisation de la mémoire

La Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée en 2005, condamne explicitement toute initiative « ternissant l’image de l’Algérie à l’international ». Pourtant, l’arrestation de Boualem Sansal et les poursuites contre Kamel Daoud posent la question : qui, aujourd’hui, nuit réellement à l’image du pays ? Le président Abdelmadjid Tebboune et le chef d’état-major Saïd Chengriha, dans leur volonté de centraliser le pouvoir, ont cédé aux « mauvais conseils » de leur entourage politique et militaire.

Ils incarnent la liberté d’expression

Mais la répression contre les écrivains, symbole de la liberté d’expression, entache davantage la réputation d’un régime déjà fragilisé sur la scène internationale. Kamel Daoud et Boualem Sansal, bien que différents dans leurs approches littéraires et philosophiques, incarnent la liberté de créer dans un contexte répressif. Leur sort soulève une question fondamentale : l’Algérie peut-elle concilier mémoire nationale et liberté d’expression ?

Issam Nazari