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Algérie : le prisonnier sans voix

publié le 23/11/2024 par grands-reporters

Disparu depuis 1998, il vivait séquestré à 100 mètres de sa maison… 

Le procès du ravisseur d’Omar Ben Omrane s’est tenu au début du mois devant le tribunal criminel de Djelfa, à 300 km au sud d’Alger, dans une relative indifférence. Pourtant, l’affaire, révélée en mai dernier, avait fait grand bruit dans les médias du monde entier. Une histoire glaçante, digne d’un thriller hitchcockien, qui avait semé l’effroi en Algérie.  Omar Ben Omrane, âgé de 19 ans, avait disparu en 1998 alors qu’il se rendait à son école de formation. Pendant des années, sa famille l’avait cherché en vain avant de se résigner à le croire mort. Pourtant, il se trouvait tout près, séquestré dans le garage du voisin, qui servait également de bergerie. Il y serait resté prisonnier pendant 26 ans. 

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Un chien qui aboyait fréquemment à proximité de l’endroit avait éveillé des soupçons, mais ce n’est qu’en mai dernier que l’horrible vérité a été découverte. Omar a été retrouvé dans un trou entouré de bottes de paille. Sa barbe fournie et son regard terrifié, capturés par les caméras de téléphones connectées aux réseaux sociaux, ont bouleversé les spectateurs. 

Tout a commencé par une dénonciation postée sur Facebook par la sœur du ravisseur, à la suite d’une dispute familiale. Bien qu’elle se soit rétractée peu après, l’information avait déjà fait le tour du village. Les membres de la famille d’Omar ont alors fouillé la maison du voisin. C’est ainsi qu’ils ont découvert l’homme, âgé de 45 ans, vivant dans des conditions inhumaines. 

 « Je criais, mais je n’avais pas de voix »

Pendant toutes ces années, Omar affirme avoir été retenu par une « force indescriptible ». Il a expliqué au juge que, bien qu’il puisse marcher et parler à l’intérieur du garage, il était incapable de s’approcher de la porte ou de communiquer avec l’extérieur. « Je criais, mais je n’avais pas de voix », a-t-il déclaré. Selon les témoignages, un sort aurait été jeté sur lui. Certains sur les réseaux sociaux évoquent des pratiques occultes. Omar aurait été considéré comme un « Zohri », une personne supposée être un intermédiaire entre le monde visible des humains et le monde invisible des djinns, capable de procurer chance et fortune. 

Dans une région où les superstitions restent ancrées, cette hypothèse est jugée crédible par certains. Pour son avocat, le ravisseur avait réduit Omar à l’état d’un esclave, chargé de s’occuper de ses bêtes. 

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La flambée des pratiques occultes dans le pays

Cet événement tragique a relancé le débat sur la montée des pratiques occultes en Algérie. Selon Kada Benamar, journaliste de la chaîne Echourouk, ces croyances, bien que présentes dans toutes les sociétés, ont pris une ampleur préoccupante dans le pays.  La forte islamisation de la société aurait contribué à faire renaître un imaginaire collectif où les esprits, les djinns et les malédictions occupent une place centrale. Sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision, les histoires de possession, de mauvais œil et de sortilèges se multiplient. Des cheikhs, qu’ils soient soufis ou salafistes, proposent des « traitements » à base d’incantations, d’encens et de plantes. Ce commerce prospère, à la croisée de la spiritualité et de la superstition, ne montre aucun signe de déclin. 

Même des figures publiques y adhèrent. Le président algérien lui-même porte une bague à laquelle sont attribués des pouvoirs surnaturels, selon certaines rumeurs. 

 Une justice silencieuse 

Malgré l’horreur des faits, l’enquête judiciaire semble incomplète. Si Omar a été libéré, rien n’indique qu’une expertise psychiatrique approfondie ait été réalisée sur le ravisseur. Le mobile du crime reste flou, et la justice s’est murée dans le silence.  Ironie du sort, quelques jours avant que cette affaire n’éclate, le « crime de sorcellerie » a été introduit dans le nouveau code pénal algérien. Un amendement qui reflète une société toujours hantée par ses démons, entre modernité et archaïsme. 

Issam Nazari


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