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Algérie : les femmes entre la caserne et la mosquée

publié le 23/10/2024 par grands-reporters

En dehors du travail dans les grandes villes, la vie sociale des Algériennes est circonscrite à l’intérieur. Prise dans la tenaille des islamistes et des militaires au pouvoir

La porte arrière de la Passat noire aux vitres fumées s’ouvre délicatement laissant apparaître sa jambe qui se déplie pour toucher le sol. Bas noirs et talons aiguilles, Souha, 40 ans, assistante de direction, sort sous les regards furtifs des jeunes de sa boîte. Avançant d’un pas ferme, elle rabat ses lunettes en serre-tête et esquisse un sourire au rouge à lèvres bordeaux, épousant son teint saharien et contrastant avec la blancheur de ses dents. Derrière ses 1m75 rehaussées de ses talons, se referment les deux battants de la porte automatique de son établissement.

Une femme ne sort que trois fois dans sa vie…

« Hamdoullah !, ( « Grâce à Dieu ! » ) j’aime beaucoup mon travail, me confie-t-elle, il se passe tout le temps des choses différentes, parfois même surprenantes. Le travail, on y passe le gros de son temps. Si on n’est pas heureux au travail on ne peut pas être heureux dans la vie. » Une règle universelle qui s’applique ici plus qu’ailleurs, particulièrement pour les femmes. Le poids des traditions et l’immixtion dans le champ privé et même intime de la religion, dont l’islamisme a investi tout un chacun du devoir du contrôle sur l’autre, font d’elles aussi bien l’objet de nos désirs que de nos démons, le coupable idéal de nos tourments. Pour les plus extrémistes… « une femme ne sort que trois fois dans sa vie : du ventre de sa mère, à sa naissance, pour aller chez son mari, à son mariage, et enfin, au cimetière, à sa mort. »

Si le travail a permis aux femmes d’arracher un pan de liberté à une oppression séculaire, elles le doivent à leurs aînées, combattantes aux côtés des hommes lors de la guerre d’indépendance. Les photos d’archives de ces soldates en tenues militaires, fusil en bandoulière, ressemblent à s’y méprendre aux images de ces militaires ukrainiennes d’aujourd’hui qu’on voit aux infos. Ce sont elles qui ont conduit et inspiré le mouvement féministe postindépendance du pays et dont il ne demeure, comme ces photos…que le souvenir.

Sur les plages de l’été, les parasols sont enveloppées de rideaux pour protéger sa pudeur

En dehors du travail et à quelques exceptions dans les grandes villes, la vie sociale des Algériennes est circonscrite à l’intérieur. Les cérémonies de mariage où elles se rassemblent entre elles, pour chanter et danser sont leurs rares moments de plaisir! On avait pourtant cru que la forte scolarisation et l’élévation du niveau d’instruction allait grandement participer à l’évolution des mentalités. C’était sans compter avec les islamistes dont le slogan, « Badissia-novembria », est crié lors du Hirak, les grandes manifestations pour le changement) en 2019. Badissia, en référence à Benbadis, fondateur des ulémas dont se réclame l’islamisme algérien. Et Novembria, de novembre pour la révolte de la Toussaint, au 1er novembre 1954, début de la guerre d’Algérie. Pour les intégristes, une façon de lier les deux faits historiques pour s’approprier encore plus le pays.

Sur les plages de l’été, comme des tentes de guerre médiévales sur les plages, les parasols sont enveloppées de rideaux pour protéger sa horma (pudeur). Le rivage est noir de burkinis, parsemé de djellabas montgolfières que balancent les vagues. Les rares filles en maillots de bain sont zyeutées comme des femmes de mauvaise vie. Les lieux de sortie et de convivialité se font, quant à eux, de plus en plus rares et les bars sont fermés les uns après les autres. En revanche, on vient d’inaugurer la troisième plus grande mosquée au monde, subventionnée au même titre que les produits de grande consommation des masses. Au milieu du peuple de femmes voilées, l’accoutrement à la française de femmes comme Souha, apparait désormais comme le dernier vestige de la colonisation… voire un trouble à l’ordre public !

La caserne s’accapare l’Etat, la mosquée contrôle la société

« Nous vivons les derniers jours de la république », me dit un officier à la retraite. Dix ans de guerre civile, les années noires,  Le sabre contre le goupillon, qui ont fait, durant les années quatre-vingt-dix, 250 000 morts, des milliers de disparus, un million de déplacés et autant d’exilés pour empêcher l’instauration d’un état islamiste, auront donc été vains, l’Algérie indépendante est éreintée, prise dans une tenaille : la caserne et la mosquée. Quand l’une s’est accaparée l’Etat, l’autre contrôle la société, notamment celle des femmes d’Algérie. Et pour tenir le pays : La prison.

L’auteur de cet article ne souhaite pas signer, pour des raisons évidentes de sécurité


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