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Algérie : quand un « Général » de 22 ans fait chanter les préfets

publié le 08/11/2024 par grands-reporters

L’histoire, rocambolesque, a défrayé la chronique en Algérie. Un jeune homme s’est fait passer pour un général de l’armée afin d’escroquer plusieurs figures influentes de l’appareil d’État algérien

Son procès s’est ouvert cette semaine au tribunal de Dar El Beïda (nom français : Maison Blanche), dans la banlieue d’Alger, où se trouve également l’aéroport de la capitale. Après plusieurs mandats d’arrêt internationaux lancés par les autorités algériennes, Yacoub Belhassani, né en 2001 à Tipaza, à 61 km à l’ouest d’Alger, a été arrêté en octobre 2023 à Francfort. Les images de son arrivée à Alger, menotté, entouré de policiers, ont fait le tour des médias et des réseaux sociaux, marquant l’aboutissement d’une traque mobilisant les services spéciaux et la diplomatie algérienne pendant plusieurs mois.

Mais pourquoi une telle médiatisation pour ce « faux général » ? Parce que, pour une partie de la jeunesse algérienne, ce jeune homme est un Robin des Bois moderne, ayant tourné en dérision l’appareil d’État. Se présentant tour à tour comme général de la sécurité de l’armée, conseiller à la présidence ou analyste politique, Belhassani a réussi à tromper des ministres, walis (préfets), diplomates, hauts fonctionnaires et hommes d’affaires, tous séduits par son ton assuré et son vocabulaire martial, caractéristiques du sérail algérien où l’autorité s’affirme souvent au téléphone.

Polyglotte (il parle arabe, français, anglais et allemand), Yacoub a commencé ses opérations d’extorsion dès l’âge de 19 ans. Immigré clandestin à Chypre, puis en Grèce, il a tissé un réseau de contacts qui lui a permis de remonter vers des dirigeants algériens. Depuis son exil, par messages ou appels via WhatsApp, il se présentait comme un personnage d’État influent. Sa technique ? Il proférait des menaces en s’appuyant sur une phrase qu’il affiche sur sa page Facebook : « Derrière chaque personnalité forte, il y a un passé qui ne pardonne pas ! » Conscient que ses interlocuteurs avaient souvent des secrets à cacher, il suffisait de laisser entendre qu’il était au courant pour obtenir d’eux des services ou des sommes d’argent sous prétexte de les transmettre à un « fils » ou à un « ami ».

Ce « DiCaprio algérien » n’a jamais suivi de formation d’acteur, mais il entre dans la peau de ses personnages avec une aisance déconcertante. Son jeu d’acteur s’est forgé dans un environnement où la corruption semble être la norme et où l’ordre et la morale sont souvent bafoués. Ses victimes, souvent corrompues elles-mêmes, se sont laissées abuser par ce « général » inconnu, sans passer par les circuits officiels, alimentant ainsi un trafic d’influence dévorant et témoignant de la mainmise anticonstitutionnelle de l’armée sur l’État.

Dans un pays en quête de justice et de réforme, on pourrait presque le considérer comme un lanceur d’alerte. À seulement 22 ans, il a mis en lumière les dysfonctionnements d’un État gangrené par la corruption, exposant ainsi les failles du système de haut en bas. Au lieu de l’inculper, certains iraient même jusqu’à dire que ce sont ses victimes qui devraient être mises en cause.