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Algérie!Algérie!

publié le 11/12/2007 par Eric Michel

Ce roman au souffle épique emporte le lecteur au cœur d’une France déchirée par la guerre d’Algérie, des villages de Kabylie aux faubourgs de Paris, jusqu’aux massacres d’octobre 1961. Depuis l’insurrection déclenchée le ler novembre 1954 par les indépendantistes, la répression fait rage en Algérie. La torture devient monnaie courante. Pour le gouvernement français, la seule négociation possible est la guerre. Dans les Aurès, Amar, qui a pris le maquis, est dénoncé par son frère. Soumis à la  » question  » par les paras, il est laissé pour mort. Sa fille, la belle et farouche Nedjma, fuit en France sous une fausse identité avec sa mère Louise, grâce aux résistants qui s’organisent. A Paris, elle s’engage avec les  » porteurs de valises  » au côté de Léo, sympathisant de l’Algérie indépendante. Leur amour naissant et passionné ne cessera d’être malmené par les événements. Le conflit prend de l’ampleur et s’enracine sur le sol français. Maurice Papon, rappelé du Constantinois comme préfet de Paris en 1958, crée la Force de police auxiliaire. Composée de harkis, elle est chargée du  » nettoyage  » et du sale boulot. Le 17 octobre 1961, les Algériens s’élèvent contre le couvre-feu raciste de Papon et manifestent pacifiquement dans Paris. Ce même jour, Léo et Nedjma décident de mettre en œuvre leur périlleux dessein…

A lire, ci-dessous, un extrait du roman:

«  »
Dans le ciel scintillant de l’Aurès en révolte, les avions de
l’armée française étaient chargés jusqu’à la gueule d’un tract :

APPEL À LA POPULATION MUSULMANE

Des agitateurs, parmi lesquels des étrangers, ont provoqué dans notre
pays des troubles sanglants et se sont installés notamment dans votre
région. Ils vivent sur vos propres ressources. Ils vous rencontrent et
s’efforcent d’entraîner les hommes de vos foyers dans une criminelle
aventure…
Musulmans ! Vous ne les suivrez pas et vous rallierez immédiatement
avant le dimanche 21 novembre, à 18 heures, les zones de sécurité avec
vos familles et vos biens. L’emplacement de ces zones de sécurité vous
sera indiqué par les troupes françaises stationnées dans votre région
et par les autorités administratives des douars.
Hommes qui vous êtes engagés sans réfléchir, si vous n’avez aucun
crime à vous reprocher, rejoignez immédiatement les zones de sécurité
avec vos armes et il ne vous sera fait aucun mal.
BIENTÔT, UN MALHEUR TERRIFIANT, LE FEU DU CIEL,
S’ABATTRA SUR LA TÊTE DES REBELLES.
Après quoi, régnera à nouveau la paix française.

Tandis que les parachutistes coloniaux poussaient au bord du
sas les paquets prévus pour éclater pendant la chute, un militaire
ouvrit le panneau latéral du transporteur de troupes et provoqua
un puissant appel d’air. Le navigateur fit signe au pilote. Il modifia
lentement l’assiette du Lulu Belle. Le porteur se coucha en

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ALGÉRIE! ALGÉRIE!

vainqueur sur les massifs enneigés et, dans le haut-parleur,
résonna l’ordre de largage :

— Go ! Go ! Go !

Les tracts s’éparpillèrent aux quatre vents, nuée de sauterelles
sur les montagnes d’Algérie.

PREMIÈRE PARTIE

CEUX QUI VONT MOURIR
TE SALUENT

1er novembre 1954 – mai 1956

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La Kabylie est une région sauvage au relief extrêmement

varié soulignant une vaste étendue du littoral algérien.

Ici, ce sont des plateaux arides et secs où pousse une végétation
basse, quasi steppique, puis des plis de vallons ponctués
de touffes de palmiers nains, d’oliviers, de figuiers ou de forêts
de cèdres et de chênes-lièges. Là, ce sont de vertigineuses parois
tombant à pic dans les talwegs, alimentés par d’aléatoires cascatelles.

Partout, les accès sont difficiles.

Les sautes d’humeur du terrain rendent ardu l’établissement de
voies de communication. Ils ne sont pas rares, les villages qui
vivent isolés du reste du monde : c’est la norme. Austères, rudimentaires,
jetés pêle-mêle au hasard des caprices de la nature et
fondus en elle, ils s’accrochent bec et ongles à des pitons rocheux.
Massés sur des crêtes à la dentelle platinée, cloués vaille que
vaille à des encoches anguleuses et rouillées, ces fortins épousent
néanmoins harmonieusement les coteaux, défiant les lois de
l’équilibre.

Sur cette terre tourmentée se prêtant naturellement à la rébellion,
les Kabyles, montagnards sédentaires, se sont montrés au fil
du temps réfractaires à l’ordre établi ainsi qu’à toute domination.
Ici, on ne se met pas du côté du manche, et c’est dans les replis
d’un pays accueillant aux « bandits d’honneur » que, sept années
avant le début du conflit, le premier maquis fut constitué avec une
poignée d’hommes sans argent, sans nourriture et sans peuple. On
y tenait tête, déjà, à l’administration coloniale avec une seule
devise : la dignité n’a pas de prix. Pour arme, une volonté en forme

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ALGÉRIE ! ALGÉRIE !

de rêve. Indépendants, orageux, ces hommes forment une société
simple, reposant sur d’ancestrales coutumes. Elle ne s’est pourtant
jamais constituée en classe. Chez eux, pas de militaires mais des
résistants, pas de noblesse mais des hommes fiers, pas de religieux
mais une conscience politique aiguisée. En un mot, pas de caste.

Portés par le destin, quelques centaines d’hommes joignirent
leurs forces. Ils se préparaient au grand combat dans l’Est algérien,
en Kabylie, dans les Aurès et l’Algérois, alors que l’attention de
l’administration française était détournée par le séisme qui avait
durement frappé Orléansville pendant l’été.

Le 1er novembre 1954, une insurrection populaire éclata simultanément
en plusieurs points de l’Algérie. Au pire, on n’avait rien vu
venir côté caïds et notables locaux. Au mieux, « on sentait quelque
chose » en métropole et, au total, on croyait planer sur le problème
comme à Sétif neuf ans plus tôt. Mais la mèche, allumée par les
répressions sanglantes au lendemain de la victoire alliée pour mater
cette première manifestation de masse, était au bout de sa course.
On pensait que la botte française pèserait suffisamment lourd sur
les musulmans : la paix serait assurée pour un bon moment.

Elle touchait à sa fin. L’heure sonna. La population, exaspérée
par les injustices de l’administration coloniale, avait maintenant
des têtes. À défaut de faire entendre une voix, ils feraient parler
la poudre.

La nuit de la Toussaint, ils étaient moins de un millier de combattants
armés de bric et de broc. Ils frappèrent cette fois des
cibles stratégiques françaises et il y eut une trentaine d’attentats.
Leurs leaders, les « chefs de l’intérieur » : Rabah Bitat, Mohamed
Boudiaf, Mostefa ben Boulaïd, Larbi ben M’Hidi, Mourad Didouche
et enfin Krim Belkacem. À la surprise générale, les maquis dormants
tiraient la France de son profond sommeil civilisateur. Ce
qu’on appelait des « bandes » pour nier l’état de guerre était en
réalité des sections organisées. Elles entraient en résistance et donnaient
le coup d’envoi à la guerre d’indépendance.

On ne décelait dans la révolte des Fils de la Toussaint qu’un
soubresaut sans grande ampleur, un événement sans conséquence
spéciale…

Et c’est ainsi que les largages de l’armée couvrirent le territoire
en cercles concentriques de ces tracts rédigés en français, en berbère
et en arabe par deux préfets du Constantinois.

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CEUX QUI VONT MOURIR TE SALUENT

Aucune région ne coupa à l’arrosage.

Des tracts jaunis à la trame ruinée par les intempéries échappaient
encore aux opérations de nettoyage et s’envolaient, parfois,
avec la montée des vents.

Sur l’une de ces collines touchées par les parachutages, à trois
portées de fusil d’Azazga, une jolie masure était plantée sur la terre
des Amandiers. Loin de tout, ce havre de paix semblait échapper
à l’histoire, au temps et à la guerre. Son luxe était l’espace, la vue
dominante, les arbres et le microclimat rendant possible l’épanouissement
de massifs de fleurs. Reliée au hameau par un long
chemin caillouteux en limite de ravin, elle baignait dans la sérénité
et le silence, sauf quand le groupe électrogène enfoui dans la cave
ronronnait pour fournir l’électricité.

La pluie était collectée dans une citerne. Une fois par mois, on
allait chercher le complément dans de gros jerricanes. L’hiver, on
récoltait la neige qui tombait en abondance pour faire de l’eau. On
y vivait chichement sans y manquer de rien. Les chèvres donnaient
un peu de lait, le sol des tubercules, les oliviers des fruits noirs et
plissés telle la peau des vieux. Pour descendre faire des provisions,
on se servait de Balthazar, un âne.

Les hommes du hameau faisaient aussi le chemin en sens
inverse. Ils offraient, vendaient ou troquaient aux propriétaires le
produit de leur chasse. La table était toujours ouverte, les conversations
allaient bon train. Quelquefois, on écoutait la radio agglutinés
dans la pièce principale. Un soir, Ben Bella avait annoncé
depuis Le Caire le coup d’envoi de la révolution qui se jouait à
quelques kilomètres des récepteurs.

Quand on poussait jusqu’à la ville, on sortait l’antique side-car,
seule trace de modernité. À son passage, le rire des enfants
accompagnait les habitants des Amandiers : Amar Nadji, né ici,
homme redouté et figure patriarcale dont on réclamait l’arbitrage
pour les conflits ; Louise Legrand, venue de France, adoptée parce
qu’elle était sa femme ; et enfin Nedjma, leur fille unique, que les
jeunes gens convoitaient sans oser l’approcher. Amar n’avait pas
besoin de faire barrage : le caractère de sa fille suffisait.

La lune était bien avancée sur sa courbe lorsque Nedjma
s’éveilla, angoissée. Elle rejeta la couverture de laine brute, s’assit
en tailleur pour reprendre son souffle. Dans la chambre, des poteries
orange et rouges aux motifs primitifs étaient enfoncées dans les

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ALGÉRIE ! ALGÉRIE !

alcôves, ainsi que des babioles venues de France. Les étagères
croulaient sous le poids des livres et des coupures de presse. Sur
le bureau, le tract. Par-dessus, un journal étalé avec un entrefilet
souligné : « Dans ce pays, les revendications sociales sont une des
formes de l’insurrection. »

Attirée vers la fenêtre, Nedjma glissa sur le tapis chamarré.
Les gonds eurent un grincement familier. L’odeur d’huile d’olive
dont elle enduisait ses longs cheveux bouclés se mêla aux parfums
d’olivier et de laurier-rose. La lune peignit son corps nu d’une
blancheur d’albâtre, artificielle, sans rapport avec sa peau de
Maure au soleil fortement pigmentée, qu’elle ne devait que pour
partie à sa branche kabyle. Pour déceler l’origine de sa teinte terre
brûlée, il aurait fallu remonter jusqu’à l’ancêtre qui, six générations
auparavant, avait légué dans sa semence à sa lignée les traces résurgentes
de sa négritude.

La jeune femme croisa ses bras sur sa poitrine.

Sur le promontoire, un point incandescent brillait par intermittence
dans la nuit.

Elle fume ?…

Des volutes de fumée grise s’élevaient au-dessus de Louise.
Accoudée à un caroubier centenaire dont le tronc sortait divisé du
sol en deux, sa mère regardait fixement vers l’est, les larmes aux
yeux. Nedjma tourna la tête.

— Papa ?…

Sur la crête blanchie par une lune marmoréenne, Amar marchait
rapidement et, de son sac de toile, dépassait le canon d’un fusil.

2

Une voix faible donna l’autorisation d’entrer. Le majordome
en livrée s’effaça avec déférence devant le visiteur qu’il
venait d’accompagner dans les dédales du palais de l’Élysée.
Le haut fonctionnaire passa le seuil du bureau présidentiel en
même temps qu’une mouche, perdue dans les couloirs.

Il était 14 heures, ce 20 mars 1955. L’homme, grand et fin, tenait
une sacoche de cuir qu’il avait prit soin d’ouvrir pour ne pas gêner
la fluidité de l’entretien. Malgré son costume sombre de fonctionnaire,
l’ancien agrégé d’histoire-géo traînait d’anciens réflexes
d’universitaire : il avait failli entrer alors qu’elle était incongrûment
coincée sous son bras. Avant d’être appelé au plus haut poste de
la police française, le directeur de la Sûreté nationale avait été
enseignant et, pendant la guerre, résistant. Jean Meirey fit trois pas.
Le parquet crissa. Il aligna ses chaussures sur les franges du tapis.

— Mes respects, monsieur le président.

René Coty l’envisagea par-dessus ses demi-lunes, suspendant le
retour de politesse. Le président baissa le regard et l’accrocha au
bas du pantalon de Meirey, pour vérifier s’il convenait ou non
d’accorder quelque crédit aux ragots de salon. C’est bien vrai ! Cet
échalas n’a aucune classe. Pourtant, c’est bien là du sur mesure ?
Mon pauvre Meirey, pour le tailleur, vous pouvez le pendre haut et
court avec son mètre souple, personne ne vous en fera grief. Mais
enfin ! N’avez-vous donc pas de femme ? De fait, s’il ne descendait
pas jusqu’au prêt-à-porter, Meirey faisait coudre ses ourlets deux
ou trois centimètres au-dessus de la mode, au grand dam du couturier
et de René Coty.

— Approchez Meirey, approchez.

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ALGÉRIE ! ALGÉRIE !

Le tapis de soie formait un îlot moelleux autour du bureau présidentiel.
Il amortit les pas de Meirey.

Il sortit une chemise noire contenant le résultat d’une mission
d’enquête élaborée par un inspecteur général de l’administration,
Roger Wuillaume, et commandée en urgence par le ministre de
l’Intérieur. L’objet : les sévices infligés aux détenus musulmans en
Algérie.

Mitterrand n’avait pu reculer. La presse poussait au cul. En tête,
L’Observateur, cette bande de trublions emmenée par ce gauchiste de
Claude Bourdet. Et son article sulfureux, « Notre Gestapo
d’Algérie », le déclencheur. L’Express s’y était mis avec les
billets de mauvaise humeur de Mauriac et, parmi les plus virulents
enfin, les chrétiens de gauche qui, dans Témoignage chrétien, stigmatisaient
l’impuissance du gouvernement pour régler la question
algérienne. Le reste de la presse française, journaux communistes
compris, allait à reculons.

Meirey avait tiqué à la lecture du rapport et s’en était ouvert à
l’ami de toujours en privé :

— Dis, Henri, je comptais envoyer ça à Mitterrand. Entre nous,
qu’est-ce que tu en penses ?

L’homme avait lu, blême et effaré : « Musulmanie : empire
mythique s’étendant de l’Indonésie au Maghreb où vivent des gens
d’origine “musulmane” qui, chacun le sait, est une “race”. Parce
que le soleil tape dur, les musulmans sont de moeurs bizarres. Tous
sans exception, hommes, femmes, enfants, ont la fâcheuse manie
de se promener le couteau entre les dents. »

— Qu’est-ce que c’est que cette clownerie ? Jean, tu déconnes
à pleins tubes.

Meirey avait repris sa missive et poursuivi en agitant théâtralement
les bras :

— « Égorgeurs par définition, ils aiment engager des actions suicidaires,
gesticulant comme des singes et proférant des cris insensés.
Les ressentiments qu’ils éprouvent à notre égard n’ont
strictement rien à voir avec cent vingt-cinq années de colonisation
méprisante, laquelle il convient de souligner l’étendue des bienfaits,
mais avec leurs gênes. »

— Tu me fais marcher. Si au moins ça n’était qu’idiot, mais c’est
un suicide. Toi, le premier flic de Fr…

— La période n’est-elle pas propice à la plaisanterie ? avait dit
Meirey en jetant le papier froissé en pâture à la cheminée. Ces poli

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CEUX QUI VONT MOURIR TE SALUENT

tiques ignares n’ont aucune connaissance du terrain. Coty, Mollet
et tutti quanti n’ont qu’une idée livresque de l’Algérie et de son
peuple. Pour Mitterrand, la seule négociation possible est la
guerre… Même le plus progressiste des colons pense que l’autochtone
est presque comme lui. En droit, un musulman vaut huit fois
moins qu’un métropolitain. Si nous en sommes là aujourd’hui,
c’est à cause des massacres de Sétif. Tout est parti de là.

— Sétif, à l’origine, est bien le fait des mus… des autoch…
Merde à la fin ! Comment diable faut-il les appeler ?

— Des Maghrébins ? Des Français d’Algérie ? Que sais-je ? Des
Algériens, voire des Français, si l’on avait eu la volonté d’appliquer
le statut de 47. Mais les Européens ne veulent pas de l’assimilation
des Arabes.

— Oui, mais pour Sétif ? Et les viols et les massacres des colons
isolés ?

— Il y a eu des massacres, c’est vrai… Ça ne me plaît pas de le
dire, mais c’est un inspecteur de police qui a vu rouge en sortant
du café de France. Et tu sais pourquoi ? Parce qu’un gamin brandissait
un panneau : « Vive la victoire alliée ! » Le jour de la Libération,
on avait déjà peur que les gaullistes laissent faire les Arabes,
et aujourd’hui, les pieds-noirs se font la valise. Que réclamaient-
ils au fond, ces gens, sinon d’avoir les mêmes droits que nous ?…
Ma fonction me réserve quelques privilèges. J’ai eu en main le
rapport secret Tubert : cent quatre Européens tués. Tu as noté
l’ampleur de la répression ?

— Tu sais, la guerre des chiffres… Certains disent quarante-
cinq mille, alors…

— Le général Tubert avançait quinze mille morts. Un pour cent
cinquante au bas mot, Henri, hommes, femmes, enfants. Et les élections
truquées de 48, et la récidive en 51 ? Une mortalité quatre
fois plus élevée chez eux que chez nous l’année dernière encore.
20 % d’enfants scolarisés contre 100 %. Une seule exploitation au
dessus de cent hectares contre près de vingt-cinq appartenant aux
Européens et un salaire journalier de 1 000 francs contre 100 pour
l’ouvrier agricole… Je sais bien que beaucoup de colons sont pauvres,
mais quand un colon négrier fait venir des saisonniers marocains
qu’il sous-paye pour faire baisser le coût de la main-d’oeuvre
et mettre au pas le travailleur algérien, que veux-tu qu’il arrive ?
Figure-toi que le gouverneur général de l’époque a préconisé de
redresser la situation et de l’accompagner de réformes sociales substantielles.
Quelle partie de la phrase crois-tu que Paris ait entendue ?

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ALGÉRIE ! ALGÉRIE !

— Je vois que l’histoire, c’est comme le vélo. Ce n’est pas dans
la police qu’on aurait dû te nommer, monsieur le directeur de la
Sûreté nationale, c’est à l’Économie, ou au Plan. Tournerais-tu
gauchiste ?

Le terme était nouveau. Meirey, flegmatique, avait haussé les
épaules.

— En est-il besoin pour répondre au problème humainement ?
Le suicide, ce sont ces conditions économiques désastreuses qui
désespèrent les hommes et que nous avons mises en place. Pas un
autochtone sur dix ne voulait l’indépendance il y a dix ans. Et
maintenant, c’est ce foutu rapport de ce foutu jean-foutre de
Wuillaume… Tant pis si j’y laisse des plumes, Coty l’aura en main.
J’ai peur que nos opérations de police ne soient plus qu’un cataplasme
sur une jambe de bois. Je garde en mémoire le mot d’ordre
de Sétif : « Istiqlal… » Indépendance… Le poisson pourrit par la
tête. Si le Conseil suit les recommandations de Wuillaume, nous
allons dans le mur. Nous pourrons dire adieu à l’Algérie, Henri.
Nous l’aurons bientôt définitivement perdu, ce pays, et Dieu sait
ensuite le chaos que ça sera pour nous. Pour nous tous.

— Dieu merci ! Nous n’en sommes pas là.

— Crois-moi. Ce qui s’est passé l’année dernière n’est pas le
fruit du hasard. La levée en masse des Fils de la Toussaint et toutes
ces escarmouches sur le territoire ne sont pas d’anodins incidents,
mais le début d’un processus dont nous ne sortirons pas vainqueurs.
Je ne vois pas d’autre issue que politique…

René Coty toussa en pure perte. Meirey s’était évadé. Impatient,
le président se racla la gorge pour le sortir de ses songeries et le
ramener dans son bureau.

— Veuillez m’excuser, monsieur le président.

Le directeur de la Sûreté courba l’échine et tendit le rapport.
La IVe République, c’était la valse des gouvernements. François
Mitterrand avait passé commande et Bourgès-Maunoury en était
le lecteur.

— Vous êtes d’un naturel rêveur, Meirey, commenta le président
qui se piquait de psychologie à ses heures perdues.

Coty fit un signe ambigu. Meirey pouvait l’interpréter à loisir
comme une invite à prendre place sur un fauteuil ou à déposer le
document. Le président n’en finissait pas d’apposer son paraphe.
Meirey s’approcha et jeta un oeil furtif aux occupations élyséennes.
Pour se changer des inaugurations de concours agricoles et autres » »
………………………………………

Fin de l’extrait.

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