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Alger:vivre avec la terreur.

publié le 03/04/2007 | par Jean-Paul Mari

Des enfants déchiquetés, des villageois égorgés : les islamistes armés ont transformé le mois sacré du ramadan en un carnaval sanglant. Jean-Paul Mari a recueilli les récits poignants d’Algériens, témoins quotidiens de l’horreur, accablés de deuils et pourtant résolus à vivre malgré tout


« Mon cher Hocine… » La lettre d’Algérie à un ami exilé est écrite d’une main féminine, calme et sage. Selima l’universitaire a tenu à passer le ramadan en famille à Alger. Partie depuis trois ans au Canada, elle souffrait trop du mal du pays. Quand elle raconte, elle dit les choses simplement, même les plus terribles. « La veille du premier jour de jeûne, les gens ont prié pour que ce mois ne ressemble pas à celui des années précédentes, que les prix soient plus accessibles et surtout qu’il soit moins sanglant. Mais la violence a commencé dès le premier jour : les tomates à 80 dinars le kilo, les courgettes à 140 dinars, la viande à 450 dinars ont fait de la chorba [la soupe du ramadan] la plus chère jamais mangée de mémoire de jeûneur. Puis les premières victimes sont tombées. Le GIA avait promis l’épouvante et il commença à tenir parole… »
La famille de Selima tient un magasin et habite en plein centre de la capitale, sur le boulevard Amirouche, juste en face du commissariat central, artère éternellement embouteillée dans le bruit des klaxons et des coups de sifflet. « Mon père, calme d’habitude, a commencé à montrer des signes de nervosité puis carrément de profonde anxiété. Tu te souviens que pendant le mois du ramadan 1995, une voiture piégée contenant 120 kilos d’explosifs avait explosé, en face du commissariat central, juste devant son magasin. Par chance, il l’avait quitté à temps. Un an plus tard, une autre bombe avait été placée sous son balcon, dans une gargote où les policiers ont l’habitude de déjeuner. Heureusement, mon père faisait la sieste dans la chambre du fond. Enfin, ce 7 janvier, j’étais dehors au moment où la Brasserie des Facultés a été soufflée par l’explosion d’une voiture piégée qui a fait près de 30 morts. Au moment de l’explosion, je me trouvais à 50 mètres. Mon père a imaginé le pire, ma mère a failli devenir folle. » Tout près de là, il reste une gargote où l’on vend encore de l’alcool, et les voisins pestent contre cette cible privilégiée des islamistes armés. Tout autour du commissariat, les rues perpendiculaires ont été barrées par des chaînes et interdites au stationnement. Et le grand boulevard Amirouche est fermé à la circulation dès 19 heures jusqu’au lendemain 8 heures.
Omar, le chauffeur de taxi, n’aime pas traîner dans ce quartier. Trop d’embouteillages, trop de monde, trop de cibles faciles pour une voiture piégée. Il déteste se sentir coincé à bord de sa vieille 504 Peugeot dans une file de voitures, à la merci de tout. D’ailleurs, il ne travaille plus la nuit et refuse certaines courses dans les quartiers chauds, à Baraki, aux Eucalyptus ou dans les petites villes à la sortie d’Alger, Lakhdaria, Larbaa, Meftah… dans le « triangle de la mort ». D’habitude, le ramadan est une bonne période pour les taxis, un peu frénétique, comme la veille de Noël en France. On court les magasins, on fait provision de viande de mouton, de légumes, d’épices, d’amandes, de gâteaux au miel… « On mange avec les yeux », comme dit Omar, en attendant le soir, la rupture du jeûne, le ftour, le premier verre d’eau, le repas de fête, le premier café et – enfin ! – la première cigarette. La nuit, on sort voir les amis, la famille, au restaurant, dans la ville pleine de lumières. On bouge, on vit !
Ou plutôt, on vivait. « Le mois du ramadan, qui était un mois de sorties, de couche-tard, est devenu un mois de réclusion », écrit avec tristesse Selima dans sa lettre à Hocine. « Seuls les jeunes bravent le danger et s’agglutinent dans les cafés ou font les boulevards pour se détendre. La télévision retient tout le monde à la maison. Les parents regardent les sketchs-chorba, petits courts métrages de circonstance, ou oublient les horreurs dans des feuilletons à l’égyptienne, des « rahat-loukoum stories » où les amours contrariées finissent toujours par un happy end. Le journal télévisé est remarquablement discret sur les événements : 20 morts ne semblent pas émouvoir le présentateur qui en fait mention brièvement, en cinquième ou sixième position dans l’ordre des nouvelles. Dans l’autre pièce, les plus jeunes zieutent « Emmanuelle à Venise », l’infatigable amazone des films érotiques de M6. Plus tard, dans la nuit, c’est le porno de Canal+, très assidûment suivi. Puis, après le film, on prend la douche rituelle, on blague encore un peu jusqu’au moment du « shour » » [le repas avant la reprise du jeûne].
Le lendemain, les yeux battus et le ventre vide, on retrouve les rues d’Alger. Et le danger. « Cette année, personne ne traîne devant les vitrines des magasins », dit Omar, le chauffeur de taxi. Un commerçant de la rue Ben-Midi, ex-rue d’Isly, lui a confié qu’il n’ouvrait même plus son magasin de lingerie pour femmes. Trop peu de clientes ! Du coup, la circulation est fluide et on traverse la ville aussi vite qu’en plein été, quand la population d’Alger la Blanche, écrasée de chaleur, fuit vers les plages. Sauf que l’été est loin, aujourd’hui le ciel est froid et l’atmosphère morbide. « Mes clients montent dans mon taxi le visage fermé, ne disent pas un mot ou ne parlent que de ça. Des bombes ! Une, deux par jour, en plein Alger… Tu les entends. Tu deviens fou. Un pot d’échappement qui pétarade, un pneu qui éclate ou un type qui abandonne sa voiture… Tout peut provoquer un début de panique ! » Alors, les gens pressent le pas, regardent sans arrêt autour d’eux. « On avance. Un coup d’oeil à droite, à gauche… On se méfie de tout le monde. Un homme en cravate ou en bleu de travail, un type en jean ou en tenue rurale. Une femme. Tous peuvent être des tueurs déguisés ! » Comme ces cinq jeunes qui avancent, cartable à la main, place du 1er-Mai, vers Abdelhak Benhamouda, responsable de la puissante centrale syndicale UGTA. Un « lycéen » tient une kalachnikov, les autres des armes de poing. Ils ouvrent le feu. Le syndicaliste riposte, blesse un des agresseurs mais tombe, tué de deux balles dans la nuque, et deux autres dans la poitrine. Son garde du corps est abattu et achevé à terre d’une balle en plein front. Puis les « lycéens » empoignent leur blessé et s’enfuient vers une cité populaire proche. Attentat, bombe, attentat… entre le 29 décembre et le 5 janvier, on a désamorcé une trentaine d’engins explosifs. Dont une ambulance bourrée de TNT, stationnée à côté de la clinique Pasteur, près de la grande poste d’Alger. Avant, les terroristes utilisaient de gros fûts bourrés d’engrais, de sable, de clous et de bâtons de dynamite reliés à une minuterie. En septembre, on a parlé de plastique quand les engins sont devenus plus petits. C’était il y a trois mois à peine, les bombes visaient des commissariats, des cafés proches des ministères, fréquentés par des policiers ou des fonctionnaires. « Il y avait encore une espèce de logique. On s’y retrouvait », remarque un Algérois. « Mais maintenant ? Ils frappent aussi chez eux, dans les quartiers populaires ! Tout le monde s’y perd. » Alors on fouille les sacs à l’entrée des restaurants, des grandes surfaces, des nouveaux bazars ou des banques. A Boufarik, voilà dix jours, dans un marché aux voitures très surveillé, la bombe a été introduite à l’intérieur d’un moteur de voiture. « Les types ont soulevé le capot… et ils sont partis. Ça a sauté. 14 morts. Un carnage. » Un poste autoradio, un cartable, un classeur, tout objet devient suspect, et on commence à parler de Semtex, un explosif puissant, sophistiqué, indétectable. « D’où viennent toutes ces bombes ? », s’étonne, à la une, le journal « Liberté ». On ne comprend pas non plus comment une Fiat 128 blanche piégée a pu être désamorcée deux fois et à deux endroits différents ! Omar va souvent chercher un client hors de la capitale, à Zéralda, au bord de l’eau, une petite ville beaucoup plus tranquille… « Là-bas, c’est la Suisse ! » Comme à Oran, Bejaia et Constantine où on se demande quelle folie a saisi le grand Algérois. Le client d’Omar, petit fonctionnaire discret, lui a raconté une scène dans un bar d’Alger : « Deux clients, très corrects, ont demandé un café. Puis ils sont sortis en oubliant un carton à chaussures sur le comptoir. Le patron, très serviable, a voulu immédiatement leur rendre le paquet. Le carton lui a explosé dans les mains, sur le seuil du café. »
Aller prendre un café, vivre à côté d’un cinéma, ne pas être à la mosquée le soir à l’heure de la prière. Tout devient danger mortel. Le GIA a interdit les jeux et les spectacles qui détournent de la foi. Et dans Belcourt, quartier populaire, hostile au pouvoir, où les islamistes ont toujours recruté, il n’y avait pas de commissariat de police quand une voiture piégée à explosé après la rupture du jeûne. Seulement un café à l’angle d’une rue, un magasin de photo, la célèbre « boulangerie de Mme Ferrat », un cinéma de quartier, le Musset, une pharmacie et une école de judo devant laquelle attendaient une dizaine de gamins. Tous soufflés. Emportés. 42 morts en tout et un quartier ébranlé par l’explosion et incapable de répondre à la question : Pourquoi ? Désormais, sur le boulevard Bélouizdad, les jeunes organisent leurs propres barrages, fouillent les voitures. La nuit, on invite l’étranger au quartier à passer son chemin. On organise des tours de surveillance. Le jour, on dispose des chaises, des tables, des pupitres d’écoliers sur le trottoir pour empêcher les voitures de stationner.
« Nous aussi, on a fait exactement les mêmes gestes », dit Mustapha, un pharmacien du centre-ville. Aujourd’hui, il a la soixantaine, du ventre et une moustache blanche, mais il se rappelle avoir organisé la surveillance des immeubles, les tours de garde, le « chouf ». « On avait des cocktails Molotov. Personne ne rentrait la nuit dans notre quartier. » C’était au temps où Alger brûlait chaque nuit, au temps où l’OAS et le FLN semaient les bombes parmi les civils, fin 1961 début 1962, pendant ces mois terribles où personne ne comprenait plus rien, où tuer était devenu une fin en soi. « C’était il y a trente-cinq ans ! », dit le pharmacien ancien combattant en secouant la tête.
Selima l’universitaire, à l’oeil vif et juste, raconte aussi dans sa lettre cette volonté de vivre normalement malgré la situation, de prendre le bus, la voiture, d’aller chaque jour à l’école, de « faire comme si »… Elle écrit : « Si Alger vit dans la peur des attentats, la vie est devenue encore plus précieuse. Les filles sont belles et s’habillent pour plaire. Même celles qui portent le hidjab n’ont plus peur de se maquiller, de mettre du rouge à lèvres ; elles font du sport et remplacent le hidjab par le justaucorps en un tour de main. Pourtant, elles prennent des risques : la veille du mois du ramadan, un tract a fait le tour des collèges et des lycées, exigeant des filles de 12 à 18 ans le port du hidjab et pour les plus âgées celui du djelbab » [voile encore plus strict].
Maya est professeur au lycée de jeunes filles d’El Harrach, juste après Hussein-Dey, dans la banlieue est. Il y a quatre jours, quelqu’un a déposé un couffin piégé devant l’établissement. La bombe artisanale a soufflé le portail et le mur d’entrée. Deux passantes ont été blessées. « Ce jour-là, les élèves étaient sorties avant l’heure normale. Quelques minutes de plus et… il y aurait eu 1 300 élèves à la porte du lycée ! » Le lendemain, à 8 h 30, on enjambe les morceaux de verre pour entrer au lycée. Mais les élèves sont là. La grande majorité des profs et des lycéennes sont voilées. Maya s’y refuse, « surtout en ce moment », mais elle fait la prière et observe le jeûne. « Quand j’arrive au travail, je regarde toujours si je n’ai pas été suivie. Dans la classe, au moindre bruit, les gosses sursautent. Sur le même banc, il y a des filles d’islamistes ou de policiers. On a fait des « réunions extraordinaires » pour leur donner des conseils : « Ne pas traîner devant le lycée, ne pas trop parler, ne pas suivre des jeunes gens. » Mais on a le sentiment d’être démunies, vulnérables, à tout moment. Le plus dur, c’est quand les filles nous disent : « Nous, on ne fait rien de notre vie. A notre âge, à 16 ans, qu’est-ce que tu faisais, madame ? « »
Après le lycée, il faut faire le marché. Plus personne n’y va en couple. En cas d’attentat, il faut bien que l’un des deux parents survive pour s’occuper des enfants. « Hier, j’ai entendu des cris : « Attention ! Le cabas, par terre. Une femme l’a déposé. C’est une bombe… Eloignez-vous ! » » L’objet avait été oublié par une femme de 50 ans. La pauvre femme est revenue le chercher, confuse, honteuse : « Pardon !… Oh ! pardon de vous avoir fait si peur ! » Violence terroriste ; violence économique. Les prix ont doublé, voire triplé pour le ramadan ! « Ce soir, j’ai fait une harira (soupe traditionnelle) pour le repas du ftour », dit Maya. Elle compte : « Tomates, viande, petits pois, poivrons, quelques épices : j’en ai pour 1 000 dinars. Un ouvrier en gagne 5 000 par mois. » En face de chez elle, après une journée de privations, une famille rompt le jeûne : « Un litre de lait mélangé à un litre d’eau, un peu de sucre et de pain. C’est tout. Jusqu’au lendemain soir ! » Chaque jour, Maya voit ces femmes sur le marché qui demandent le prix et n’achètent pas. Et ces gosses du quartier qui maigrissent. Elle les voit arriver sous la pluie, en claquettes et en chemise. Grelotter, attraper des angines, des bronchites. Et ne pas se soigner faute d’argent. « Les gosses quittent l’école parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer un stylo et un cahier. Alors, à 13 ans, ils deviennent cireurs de chaussures ou livrent des paquets sans savoir ce qu’ils contiennent. Pour 10 dinars par jour. » Dans une école proche, deux gamins de 12 ans se sont évanouis en classe. On a appelé un médecin. Il a expliqué à Maya que les deux enfants n’avaient rien avalé depuis trente-six heures.
« Le courage des citoyens » a titré le journal « El Watan ». Face à la violence quotidienne, ce peuple est courageux. Dur au mal et à la douleur. Parmi les journalistes qui arrivent le matin à la Maison de la Presse, la plupart ont perdu un cousin, un ami, un frère. On visite la famille, on partage le deuil, on offre un peu d’argent et quelques paroles de réconfort. Et on cherche où dormir pour la nuit. Dans un hôtel, la maison d’un copain, un des studios loués par le journal. Surtout ne pas avoir d’habitudes, ne pas rentrer chez soi tous les soirs. Hier soir, Khaled a quitté le journal vers 1 heure du matin après avoir lu le communiqué du ministère de l’Intérieur qui accuse les journaux indépendants de faire « le jeu de la propagande terroriste et d’amplifier le nombre des victimes ou parfois d’inventer des actes terroristes ».
La menace est claire. La seule information autorisée est celle, laconique et tronquée, délivrée par le ministère. Pas question de parler des pertes des forces de l’ordre. Qu’importe si un journaliste voit un homme se faire égorger devant lui, s’il perd un parent dans un des massacres des villages de la Mitidja ou si les réfugiés de la montagne occupent la cave de son immeuble… Pas un mot ! Il faut attendre un éventuel communiqué officiel. Aller au-delà, raconter le réel, c’est s’exposer à la fermeture. Ou au refus d’imprimer comme celui qui frappe l’hebdomadaire « la Nation » depuis près d’un mois. « Voilà dix jours qu’on n’a plus de télex d’agence algérienne ou française. Panne technique comme ils disent ! », explique Khaled. Comment font-ils ? « Quand il y a une explosion… on l’entend ! » La dernière bombe, à Belcourt, a fait trembler les murs de la rédaction.
L’hôpital Mustapha se trouve à quelques centaines de mètres du journal. Un bel hôpital, CHU de référence en Algérie. A Mustapha, le matériel a vieilli mais il y a un service de réanimation, de chirurgie vasculaire, une unité de cardiologie et une morgue. « Quand une bombe explose, on entend la déflagration, on l’apprend par la radio ou le bouche-à-oreille. On se précipite tous à l’hôpital », dit Ben, un interne de 29 ans. Il s’était préparé à faire de la cardiologie, pas de la médecine de guerre. Une voiture piégée ? Il sait ce qu’il va entendre : les sirènes des ambulances paralysées dans une ville tortueuse, les hurlements des blessés, les cris des parents. Et ce qu’il va voir : les corps salis, dénudés, criblés, calcinés par le souffle et l’explosion. Et chaque fois, la foule des gens de la rue, passants anonymes et bénévoles, qui se précipitent pour offrir leur sang. Ben redoute ces moments-là : « J’ai reçu un corps éviscéré, brûlé, amputé d’une jambe et d’un bras. Ses parents l’ont identifié grâce à une ceinture. » Parfois, une infirmière craque, fond en larmes ou s’évanouit. « Un soir, après l’attentat à la fac centrale, on m’a amené une jeune étudiante… Elle avait une jambe arrachée, à hauteur de la cuisse. Je l’ai traitée. Puis je suis allée pleurer dans un coin. » Ben se sent souvent seul. Tous les autres médecins sont trop jeunes. Les plus expérimentés, payés une misère, sont partis, en France, aux Etats-Unis ou dans le privé. Ben vit sur les nerfs, dort – mal – quatre heures par nuit. Il lui faut une longue semaine avant de se remettre d’une nuit de garde. Il n’en peut plus d’entendre le récit de cette femme, traitée pour troubles cardiaques, lui racontant que tout a commencé quand elle a découvert un corps décapité devant chez elle. Ou de traiter ce paysan de la Mitidja, frappé d’infarctus, parce qu’il a assisté au massacre de 30 personnes. Ou de s’acharner à essayer de sauver un homme de 47 ans, petit fonctionnaire de Djelfa, victime d’une crise cardiaque : « On avait égorgé ses deux enfants de 23 et 25 ans sous ses yeux. Son coeur lâchait et il refusait de s’alimenter. Pendant quinze jours, j’ai tout tenté, appelé un psy, en vain. J’ai vu son état se dégrader chaque jour. Il est mort dans mes bras. De faim. De renoncement. De désespoir. » Le soir, Ben essaie de chasser ces images, de ne pas imaginer l’avenir, de s’accrocher au quotidien. Avec une obsession, celle de tous les habitants d’Alger : survivre.
Dans sa lettre, Selima raconte un dernier détail qui l’a frappée : « Dans la rue, les fous sont devenus légion. Une femme bien mise mais apparemment dérangée a souffleté, en plein boulevard, une pas- sante qu’elle a traitée de salope. Et à Belcourt, un homme a craqué. Il a rompu le jeûne et s’est mis à invectiver sa famille. Puisque Dieu permettait que des crimes aussi horribles soient accomplis, il fallait qu’Il n’existât pas. »

JEAN-PAUL MARI


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