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Amelia Earhart, la belle engloutie

publié le 02/09/2007 | par Florence Décamp

Amelia Earhart, célèbre pour avoir été la première femme à réussir la traversée de l’Atlantique, peu après Charles Lindbergh, a disparu en vol en 1937. Soixante-dix ans après, des passionnés la recherchent toujours.


Depuis l’aube, tout l’équipage de l’Itasca est sur le pont. C’est à celui qui le premier verra l’avion, sans doute pas plus gros qu’une mouche accrochée à l’horizon. Parfois, un marin s’exclame et appelle les autres, persuadé d’avoir entendu le bourdonnement d’un moteur, mais ce n’est que le clapotis des vagues et le sifflement du vent contre la coque de ce navire de la marine américaine qui fait le bouchon sur les eaux immenses du Pacifique. Le bâtiment de l’US Coast Guard attend au croisement de l’équateur et de la ligne de changement de date, à proximité d’Howland island, terre minuscule où doit se poser le Lockheed Electra d’Amelia Earhart. A terre, les matelots sont prêts à chasser les oiseaux de la piste de corail, les mécaniciens parés à vérifier, et si nécessaire, à réparer l’appareil. Il y a même deux journalistes pour interroger Amelia lors de son escale sur cet îlot inhabité avant qu’elle ne s’envole pour Hawaii et la Californie, avant qu’elle ne boucle un périple qui fera d’elle la première femme à voler tout autour de la terre, en suivant au plus près la ceinture de l’équateur. Son navigateur, Fred Noonan est un des meilleurs de l’époque. Il a, pour la Pan American, ouvert bien des lignes à travers le Pacifique.

Partis le 21 mai 1937 de Miami, ils ont déjà parcouru le plus long du chemin. Le Brésil, l’Afrique, la Birmanie, Singapour… Il y a quelques jours, en Australie, Amelia s’est débarrassée des deux parachutes qu’elle a transportés dans son avion sur 22 000 kilomètres. A quoi bon quand il ne reste plus qu’un océan, aux terres si rares, à survoler…19 heures plutôt, elle a décollé de Lae en Papouasie Nouvelle Guinée. C’est la dernière ligne droite à travers le Pacifique. « KHAQQ appelle Itasca Nous devons être au dessus de vous mais je ne vous vois pas….Nous manquons de carburant… Impossible de vous joindre par radio. Nous volons à une altitude de 1 000 pieds… ».

L’Itasca ne cesse pourtant de répondre aux appels d’Amelia qui ne l’entend pas. Mais les ondes sont saturées par un invraisemblable trafic radio provoqué par l’événement. Les cargos qui relient les îles, les navires marchands, les avions de ligne, les radios amateurs…tout le monde veut être de la partie. L’Itasca reçoit plusieurs messages de puissance variable mais si brefs qu’il est impossible d’en repérer l’origine. Pendant encore presque deux heures, le garde côte américain continue d’émettre sur toutes les fréquences. En vain. Ce 2 juillet 1937, sur le pont de l’Itasca, les hommes, soudain silencieux, scrutent le ciel à s’en brûler les yeux.

Ils sont tous un peu amoureux. Amelia et son regard si clair. A la veille de ses quarante ans, elle a toujours des allures d’enfant. Ebouriffée même par temps calme et ensoleillée d’un sourire à adoucir les plus coriaces. Amelia est la petite fiancée de l’Amérique, une des femmes les plus connues de son temps. En mai 1932, près avoir affrontée en pleine nuit une terrible tempête, son appareil alourdi par le givre, à court de carburant, elle n’avait pu atteindre Paris et avait posé son Lockheed Vega en Irlande dans un champ près de Londonderry. Au fermier qui lui demandait si elle venait de loin, elle avait répondu « d’Amérique ! » Cinq ans après l’exploit de Charles Lindbergh, elle était la première femme à réussir, en 14 heures et 56 minutes, la traversée de l’Atlantique en solitaire…

En 1928, un premier vol transatlantique en tant que passagère l’avait déjà rendue célèbre mais Amelia se demandait bien pourquoi l’affaire avait fait tant de bruit alors qu’elle n’était pas aux commandes mais installée dans l’avion « comme une valise ». Les années suivantes, elle se rattrape. La première à voler en solitaire entre Hawaii et la Californie, entre Los Angeles et Mexico, entre la Mer Rouge et l’Inde…. Elle écrit un livre et des éditoriaux, participe à des courses aériennes, effectue des campagnes de promotion pour la Transcontinental Air transport qui deviendra la TWA. Mais elle rêve d’un très long voyage, elle veut faire le tour complet du carrousel, emmener son avion encore plus loin. « J’ai le sentiment qu’il me reste encore un grand vol à accomplir. J’espère que ce sera celui là. »

Aux Etats-Unis, le président Roosevelt donne l’autorisation de lancer les recherches. 3 000 hommes, 66 avions et 9 navires vont participer à cette opération de sauvetage, la plus grande jamais organisée pour retrouver deux civils perdus en mer. Rien ne sera découvert de l’Electra. Pas un débris, pas une flaque d’huile. Amelia Earhart et Fred Noonan ont disparu sans laisser la moindre trace, le plus infime indice. Le 18 juillet, les recherches sont abandonnées. Seul George Palmer Putnam, un éditeur new-yorkais, va rester sur Howland Island et continuer à survoler la zone pour tenter de localiser l’Electra.

A six reprises, il avait demandé sa main à Amelia pour qu’elle accepte enfin de l’épouser. Elle lui avait dit qu’elle ne renoncerait pas à sa passion pour l’aviation, qu’elle ne serait pas une femme au foyer. « Tu sais que je connais les risques…Je veux le faire. Comme les hommes, les femmes doivent tenter de réussir et si elles échouent, leur échec doit être un défi pour d’autres femmes. » Tout au long du voyage, Amelia avait écrit à George. Il poursuit ses recherches jusqu’au mois d’octobre 37 avant de se résoudre à l’idée que jamais il ne reverrait sa femme.

Mais l’Amérique espère encore. Les plus folles rumeurs accompagnent sa disparition. Amelia était une espionne aux ordres de Roosevelt, accomplissant sous couvert d’un exploit aéronautique une dangereuse mission et elle avait été rapatriée aux Etats-Unis sous une fausse identité. Amelia avait été capturée par les Japonais et contrainte de participer à des émissions radiophoniques de propagande destiné aux GI’s sous le nom de Tokyo Rose. Amelia vivait une folle passion avec un pêcheur sur une île du Pacifique….Si la plupart des théories ont été vérifiées et démenties, il en est une qui, 70 ans après la disparition d’Amelia, n’a pas été abandonnée et continue de mobiliser des centaines de volontaires qui tentent de démontrer qu’Amelia Earhart et Fred Noonan ne sont pas morts le 2 juillet 1937 mais se sont posés en catastrophe sur le récif de l’île de Nikumaroro, dans l’archipel de Kiribati, où ils ont survécu plusieurs semaines ou plusieurs mois.

Quatre millions de dollars ! Aux Iles Fidji, la population n’en revenait pas. Fallait-il que ces Américains soient fous pour dépenser une somme pareille afin de retrouver quelques ossements, sans doute blanchis et friables comme ces os de sèche qui flottent jusqu’au rivage ? Les Américains en question appartiennent à la TIGHAR, The International Group for Historic Aircraft Recovery, une association qui tente de démêler les mystères liés à l’aviation. Ils ont découvert dans de vieilles archives l’existence d’un coffret de bois qui contient des ossements, une chaussure de femme de taille américaine 10 et une boite de sextant recouverte d’émail noir ramassés sur Nikumaroro, en 1940, par l’officier britannique Gerald Gallagher. Il pense aussitôt à Amelia Earhart et prévient ses supérieurs qui lui demandent d’acheminer, discrètement, ses trouvailles à Suva, aux Iles Fidji. Les ossements sont examinés par le docteur D.W.Hoodless qui, bien que n’ayant aucune compétence dans l’expertise médico-légale, est formel : les ossements sont ceux d’un homme petit d’origine européenne ou métis.

Mais l’attaque des Japonais sur Pearl Harbour et la guerre du Pacifique qui commence font de cette étrange découverte une simple anecdote que tout le monde oublie. En 1998, la TIGHAR demande à deux spécialistes, dans le cadre d’expertises indépendantes l’une de l’autre, d’examiner les éléments du rapport Hoodless. Ils arrivent aux mêmes conclusions, les ossements appartiennent à une femme blanche et pourraient être ceux d’Amelia Earhart. Mais pour avoir une certitude, il faudrait retrouver le coffret où reposent les ossements et faire un test ADN.

En 1999, les gens de la TIGHAR lancent une vaste opération, ils fouillent les caves et les greniers, visitent les anciens bâtiments de l’administration britannique, sondent les murs et les mémoires pour trouver un indice qui mènerait au coffret. Sans résultats. Les Fidjiens n’en furent pas mécontent. Aux Américains ils expliquèrent que les ossements, fussent-ils ceux d’Amelia ou d’une autre, devaient dormir en paix dans le monde des ombres. Mais, pour les passionnés d’Amelia, seules les réponses apporteront le repos.

Le mois dernier, 15 chercheurs de la TIGHAR sont retournés sur Nikumaroro. La neuvième expédition en 18 ans ! Ils ont cherché ailleurs, fouillé d’autres terres mais ils reviennent toujours vers cette île, à seulement deux heures de vol de Howland où devait se poser Amelia, mais beaucoup plus grande et exactement positionnée sur la trajectoire que suivait son appareil. Au fil du temps, les gens de la TIGHAR ont accumulé les trouvailles. Des débris de plexiglas d’un avion , un oeillet métallique provenant d’une chaussure dont le modèle remonte aux années 30, des griffures sur le récif, les traces d’un campement de fortune…

Si la TIGHAR a raison, si Amelia Earhart et Fred Noonan ont survécu sur cette île du Pacifique, ils auraient pu être sauvé. Après avoir été longtemps inhabitée, l’administration britannique avait décidé, fin 1938, d’y installer une petite colonie de peuplement. Elle fait débrousser l’île pour y planter une cocoteraie. C’est ainsi que Gerald Gallagher, en charge de l’opération, découvrira les ossements sur Nikumaroro.

Que penserait Amelia de cet acharnement ? De cette obsession à écrire l’histoire de sa mort ? Quelques uns ont retenu qu’elle fut la première femme à traverser l’Atlantique, tous se souviennent qu’elle a disparu dans le Pacifique. Ils imaginent la chute, elle qui ne rêvait que d’être là haut. C’est un vol de seulement dix minutes, dans un biplan, au dessus de Los Angeles qui avait décidé de son destin. Elle a 23 ans et, avant même que l’avion ne se pose, elle sait qu’elle deviendra pilote. Quelques soient les risques, l’aventure est trop belle.

« Bien évidemment, j’ai envisagé la possibilité que je pourrais ne pas revenir et je l’ai acceptée…. » Mais certains, 70 ans après sa disparition, ne peuvent s’y résoudre. Dans le Pacifique, des hommes grattent le sable des plages, fouillent des océans d’archives et sondent les mémoires endormies. Avec une ferveur, Amelia, ils vous cherchent encore.

Florence Décamp

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