Amérique: attention, danger dans le ciel
Le transport aérien, déjà fragilisé, subit coupes budgétaires, licenciements et dérégulation. Résultat : incidents en chaîne et une sécurité aérienne défaillante

Une FAA affaiblie
La Federal Aviation Administration (FAA) est, aux États-Unis, une très digne dame de 67 ans chargée de la réglementation aérienne et, plus généralement, de la gestion du trafic aérien. Son rôle est bien entendu crucial en matière de sécurité aérienne. Elle emploie 46 000 personnes. Son budget — 50 milliards de dollars — comprenait jusqu’en 2025 un important volet de modernisation des équipements de contrôle aérien, des aéroports, ainsi que le recrutement de 2 000 contrôleurs supplémentaires cette année. C’était compter sans Donald Trump et Elon Musk. En mars, le président des États-Unis a nommé à la tête de cette très importante agence Bryan Bedford, président de Republic Airways, dont on se demandait alors s’il serait capable de résister aux volontés dérégulatrices de la nouvelle administration américaine. On a rapidement eu la réponse. Le secteur est en difficulté depuis plusieurs années. Et ce que lui a infligé la nouvelle administration n’a rien arrangé.
Contrôleurs en sous-effectif, vols supprimés
En 2023, les syndicats estimaient qu’il manquait 3 000 contrôleurs aériens, sur un total de 10 800. Un déficit de 27,7 %… Déjà, il avait été demandé aux compagnies aériennes de réduire de 20 % le nombre de leurs vols dans les trois aéroports de New York (JFK, LaGuardia et Newark) et dans celui de Washington (Ronald Reagan). Cette demande court normalement jusqu’en octobre 2025. Mais en janvier, à Ronald Reagan justement, un avion de ligne a percuté un hélicoptère militaire. La catastrophe a causé 67 morts et, aussitôt, les polémiques se sont déchaînées sur l’efficacité de la sécurité aérienne. Trump a, comme d’habitude, incriminé l’administration Biden. Puis, le 28 avril, un autre incident a de nouveau mis le feu aux poudres. À Newark, le système de contrôle aérien a subi une coupure de 90 secondes. Ce sont les contrôleurs de Philadelphie qui gèrent les vols en approche de cet aéroport, pour soulager leurs collègues new-yorkais. Pendant une minute et demie, ils n’ont pu communiquer avec les pilotes. Plus de radar, plus de radio, un trou noir…
Coupures, retards, chaos technique
Depuis, les incidents de ce type se sont multipliés. À ces problèmes d’équipements vieillissants, de pénuries de personnel, d’organisations perturbées, il a fallu rajouter Elon Musk et le DOGE, chargés par le président de réduire drastiquement les effectifs de la fonction publique. La FAA a été l’une des cibles de cette politique. Or, les États-Unis gèrent 16,4 millions de vols chaque année : 45 000 par jour, transportant 2,34 millions de passagers. Chaque heure, il peut y avoir jusqu’à 5 000 avions dans le ciel américain. Et comme le pays représente 20 % du trafic aérien mondial, une sécurité défaillante peut affecter l’ensemble des échanges de la planète. Mais les préoccupations du milliardaire préféré de Donald Trump sont bien loin de ce souci. D’autant que le propriétaire de SpaceX avait quelques idées derrière la tête. Ne serait-ce qu’envoyer ses ingénieurs au secours de la FAA après avoir sabré dans ses effectifs. Ou encore obtenir, contre Verizon, avec Starlink, le contrat des télécommunications de la FAA (2,4 milliards de dollars).
Musk, entre sanctions et contrats
Musk ne connaît pas plus le conflit d’intérêts que Trump. Et comme lui, il est rancunier. La FAA avait osé lui coller une amende pour non-respect des licences lors des lancements de ses fusées Starship. Ouf, Musk est parti remettre de l’ordre dans ses affaires abîmées par son passage dans l’administration Trump. Mais les dégâts restent. En février, 400 employés de la FAA ont été licenciés : des personnels en période probatoire. Les contrôleurs ont été peu affectés. Les mécaniciens de maintenance, les assistants de sécurité aérienne, les spécialistes de l’informatique aéronautique ont été touchés. 2 700 employés supplémentaires ont été incités à quitter leur poste.
Décollages et atterrissages limités,J FK et LaGuardia engorgés, retards en série, grèves en vue
Le manque de personnel a, du coup, handicapé l’efficacité de la FAA, en matière de sécurité aérienne bien sûr, mais aussi de délais de certification des avions ou de maintenance de certains équipements. À l’aéroport de Phoenix, il a fallu deux semaines pour réparer les systèmes de balisage. Il a fallu détourner des vols.
À Oklahoma City, la réduction de 40 % du budget de formation des contrôleurs a bloqué l’instruction de 120 recrues. Les centres de New York ou d’Atlanta n’ont pu intégrer de renforts. Du coup, des contrôleurs épuisés ont pris jusqu’à 45 jours de congé pour stress aigu. Le trafic aérien a dû être en conséquence réduit pour ne pas mettre en danger les vols. United Airlines gérait 440 vols à Newark. Aujourd’hui, elle n’en a plus que 293. Dans cet aéroport, décollages et atterrissages sont limités à 55 par heure. JFK et LaGuardia sont engorgés. Le prix des billets grimpe. Les syndicats prévoient des grèves. La Californie, l’Illinois et New York envisagent d’autonomiser la gestion de leurs plateformes aéroportuaires pour échapper au chaos fédéral.
Une industrie torpillée
Trump et Musk ont réussi à faire perdre des sommes colossales aux compagnies aériennes, aux aéroports, et au secteur du tourisme déjà en mauvais état. Mais qui va encore avoir envie de prendre l’avion pour aller ou pour voyager aux États-Unis ?
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