Banlieues: la tentation islamiste.
Ce samedi-là, veille de Toussaint, Paris la grise s’ennuie et songe distraitement à ses morts. Dans la rue, quatre hommes en vert portent un cerceuil noir. Une foule les suit. Il y a du silence compassé dans l’air et l’ombre du deuil sur les visages. On ne crie pas «Allah Akbar_» (Dieu est le plus grand!) en suivant un corbillard parisien. Ceux qui sont là sont des musulmans. Et ils pleurent symboliquement les morts, leurs frères, des massacres de Bosnie. Il est 15_h_00, les cinq mille musulmans en colère entreprennent de traverser toute la capitale, du métro Barbès jusque de l’autre côté de la seine.
Et Paris s’en fout. Il n’y aura pas une ligne dans les journaux, pas une image à la télévision et les radios abreuvent les rues vides du week-end du problème fondamental de l’installation d’espaces non-fumeurs. Eux marchent: ouvriers immigrés turcs et magrhébins, vieillards en burnous, notables en cravate, femmes voilées et jeunes au regard brûlant d’indignation: «Nous ne voulons pas des soldats de l’ONU mais des armes pour le combat!_» Et Paris n’entend rien. Même pas, en queue de cortège, un groupe de quelques centaines d’hommes qui chantent l’hymne de la Djihad, les yeux et l’index pointé vers le ciel, comme dans les manifestations du FIS en Algérie. Paris n’entend pas l’arabe, sinon elle pourrait aussi déchiffrer, sur l’étendard noir d’un petit groupe, le nom de l’immam Hussein, martyr et héros des Hezbollah. Plus loin, juste avant d’arriver à la Bastille, une centaine d’hommes barbus, se mettent à courir: «Doula Islamia!_» En clair_: «Etat Islamique!_» Ce samedi-là, les islamistes ont couru dans Paris.
Musulmans, islam, islamisme, intégrisme… A force de mâcher et de remâcher les mêmes termes, Paris confond tout. Partagée entre ceux qui veulent voir un terroriste derrière chaque turban et ceux qui ne retiennent que le religieux et prônent l’angélisme. Islamisme? Chut! Surtout ne pas parler du problème. Comme si, entre le racisme des uns et le mutisme des autres, il n’y avait pas de place pour traiter du phénomène en France, de sa naissance, de ses influences, de ses tentations et de ses limites. Et d’abord, qu’est-ce qu’un islamiste radical? Celui bien sûr qui confond le politique et le religieux, exige l’établissement d’un Etat islamique et l’application d’une seule loi, celle du Coran, celle de la Chari’a. Mais aussi celui qui fait violence pour imposer ses vues religieuses. Ou encore celui qui va constamment faire pression chez lui, dans son immmeuble, dans la cité parce qu’il ne tolère pas qu’une femme ne porte pas le foulard, qu’un enfant mange un biscuit qui n’est pas «Halal_», que les écoles soient mixtes ou enseignent la théorie de l’évolution.
En juin dernier, un rapport des Renseignements Généraux est remonté jusqu’à l’Elysée. Il mettait en garde contre l’influence des thèses islamistes au sein de la deuxième génération d’immigrés, une «influence grandissante, indiscutable depuis environ un an_», précisait le rapport qui n’excluait pas une dérive terroriste de certains groupes issus de cette mouvance. Un ancien haut-fonctionnaire, fin connaisseur et amoureux de la culture arabe met en garde: «Il y a trois dangers: le Chiisme, sous forme de petits noyaux, un problème de sécurité qui relève de la DST; l’argent saoudien du Wahabisme, qui passe par le canal de l’ambassade et de la Ligue islamique mondiale; et, désormais, l’enfant naturel du Wahab»sme qui a fait des progrès fulgurants depuis un an: le FIS algérien._»
Le problème est qu’on ne cerne pas aussi facilement la nébuleuse des mouvements islamistes en France. On compte plus de sept cent associations musulmanes sur le territoire. Certains ont pignon sur rue, tiennent un discours associatif ou politique ou côtoient des associations résolument non-politiques. D’autres mouvements restent dans une semi-clandestinité; d’autres enfin sont traversés de courants contradictoires (voir tableau page 18).
A Roubaix, à Sartrouville, à Nanterre, à Stains, à Epinay sur Seine, à Mantes la jolie…les islamistes sont présents, plus ou moins forts, plus ou moins visibles, toujours très actifs. Prêts à tendre la main aux toxicomanes ou à faire une chasse musclée aux dealers, à apprendre l’arabe du coran à des gamins de huit ans ou à lutter contre la laïcité. Parfois, ils vont plus loin. A Nanterre, les islamistes ont fini par poignarder un dealer. Le leader de ce groupe est allé plus loin en poussant ses jeunes militants à acheter des fusils «riot gun_». Il est prison, pour trafic d’armes.
Toujours radicaux, parfois chaleureux, parfois violents, les islamistes ne se limitent pas à quelques illuminés, coupés de la population des cités. Leur lutte contre la délinquance et la drogue leur vaut souvent la sympathie des familles d’immigrés dépassées par le problème. Ils ne sont pas, en aucun cas, une force sérieusement implantée, comparable à celle d’un FIS en Algérie. Combien sont-ils? Impossible à dire. Beaucoup de groupes se font et se défont. Mais ils sont là, présents et actifs, dans plusieurs dizaines de quartiers ou de cité de banlieue. Et l’islam qu’il propose est un islam de rupture, qui élargit les fractures d’une banlieue déjà éclatée. Là est aussi le danger.
A Sartrouville, il y a une cité au nom exotique, la «cité des Indes_», un joli nom pour des paquets d’immeubles aux facades grêlées, vague souvenir d’un ornement architectural désuet. «FIS_», «Palestine_», «France, réveille-toi, les juifs te gouvernent_», disent les murs couvert de graffitis. Ici, il y a toujours eu une association de musulmans dirigée par des immigrés, pères de famille traditionnels. Ils ont demandé un lieu de prière; on leur a octroyé une cave. Et puis les jeunes sont venus. Ils ont dit qu’ils étaient d’abord musulmans, que les flics s’asseyaient sur leur carte d’identité française, que leur parents avaient perdu leur âme et leur santé à travailler et qu’ils n’avaient récolté que du mépris. Avec eux, peu à peu, un Dieu revendicatif est sorti de la mosquée. Pendant la guerre du Golfe, certains ont commencé à soutenir Saddam; pendant les élections en Algérie, ils ont distribué des tracts en faveur du FIS. Un vilain jour de mars 91, quand le vigile d’un supermarché de la cité a abattu Djamel Chettouh, les jeunes saccagent un magasin, attaquent une station service et affrontent les CRS: l’émeute. «On demandait justice. Aujourd’hui, Djamel est mort et le vigile… a été relaché_», dénonce un tract à Sartrouville. Bilan: l’affaire «Djamel_» a jeté des dizaines de désespérés dans les bras des frèrots.
«Au début, je les trouvais intéressants, dit Mourad, un jeune de la cité. Ils redonnaient des règles aux jeunes, les sortaient de la came. Ici, on trouve encore des seringues dans les bacs à sable. Et puis, leurs méthodes ont commencé à changer…_» Pas ou peu de violence mais un long travail de sape. Les frèrots mettent en quarantaine celui qui ne suit pas; ils traitent de «juif_» celui qui s’oppose. Ils infiltrent les associations, traitent une animatrice de «française débauchée_» parce que sa jupe ne couvre pas ses jambes, giflent une fillette parce qu’elle a fini par accepter des gâteaux avec des «graisses animales_» non-Halal.. «Ils pourrissent la vie dans la cité et poussent lentement les autres associations vers l’extérieur_», remarque Mourad. Dur aujourd’hui, d’être un laïc affiché dans la cité. Au local des associations, un jeune, barbu, hostile, explose contre la presse des «mécréants_». Il respire la colère et la haine, tend le doigt vers le ciel, «On ne peut pas attaquer l’islam! C’est une chose belle, claire. On ne laissera personne l’entacher! Compris?_» Il prévient_: «Ce soir, on est calme…_» A côté de lui, un grand gaillard silencieux approuve de la tête. Ici, l’islamisme ne craint pas l’affrontement. Au fond du local, les vieux d’une autre association baissent la tête, gênés et impuissants.
Un homme a obligé malgré lui les islamistes a plus de discrétion dans la cité. A 35 ans, Didier Guyon, Français converti, parcourait la cité en parlant de «nos frères que l’on tue en Algérie_». Les jeunes de la cité racontent comment il emmenait les adolescents en fôret pour des « activités de plein air » où on apprenait surtout à tirer à la carabine. Un jour, il est parti en Algérie «participer au Djihad du FIS_». On l’a arrêté le 12 juin 91, à 250 kilomètres d’Alger, avec un lot d’explosifs, trois fusils à pompe et un fusil de haute précision.
Les vrais missionnaires de l’islam sont ailleurs. Ils sont, par exemple, à Belleville, sorte de banlieue au cÐur de la capitale. C’est là que bat le cÐur parisien de l’orthodoxie islamique, dans cette mosquée d’Omar, installée dans une ancienne usine, entourée aujourd’hui de librairies islamiques et de boucheries musulmanes où le mouton est certifié «Halal_», égorgé selon le rite. Le lieu est toujours bondé et les hommes pieux qui viennent là portent volontiers la longue djelleba claire, le turban blanc, les savates et la canne. Ils sont les missionnaires de l’islam, les fils du mouvement «Jama’at al Tabligh_», ceux qui parcourent la France et le monde le coran à la main.
«Pour nous, la terre est une grande mosquée_», dit Ben Arfa, Tunisien et chauffeur de taxi. Il a la cinquantaine, porte le calot blanc et la main sur le cÐur et oublie de brancher le compteur quand il récupère un client égaré: «Des frères malheureux, ivres, drogués, désespérés. Je leur parle, je leur dis: « redeviens ce que tu es: un musulman! ». Et ils viennnent à la mosquée en pleurant de joie_». Quand il ne conduit pas, Ben Arfa file à la sortie des bars, visite les hôpitaux et les prisons. L’ouvrier immigré qui perd son âme dans l’alcool, celui qui lutte entre la honte et son envie en suivant une prostituée de Pigalle, le jeune détenu qui ignore le coran ou le vieux, malade, hospitalisé et solitaire, qui n’a même pas de savonnette… Ben Arfa le pieux ne rejette personne. Il ne leur tient pas de grand discours théorique mais porte l’islam à domicile, un islam concret, de tous les jours. Là où ne subsiste que le vide et le désespoir, les hommes en savate du Tabligh savent pousser la porte. Le mouvement est né il y a longtemps en Inde et les Pakistanais ont pris la route de l’ouest pour s’implanter dans quatre-vingt dix pays.
En France, ces missionnaires du Croissant sont près de trois mille à silloner l’Afrique, l’Asie et l’Amérique. Régulièrement, Ben Arfa abandonne son taxi et part lui aussi pour un long voyage «pour quarante jours ou quatre mois…_». En janvier, lui et quelques «frères_» s’envolent pour New york, le Michigan et la frontière canadienne. Véritables machines à prier et à prêcher, ils sont infatigables… Le retour d’un des principaux dirigeants du FIS, Abassi Madani, à un islam plus orthodoxes, c’est eux. L’islam social en France, le travail de fond, la ré-islamisation par le bas, c’est eux. Pas de politique, pas d’islam de rupture mais pas d’intégration. Pour le Tabligh, l’islam des origines est Ðuvre de missionnaire.
A deux-cents kilomètres au nord de Paris, à Lhommelet, un quartier de Roubaix, l’islamisme des gamins frisés est une morale, une règle de survie. Allons voir. La ville a juste le temps de décliner les tons de ses briques que déjà le ciel s’étouffe et crache un gris métallique et un filet d’eau froide. La détresse du quartier tient en quelques chiffres: huit mille habitants, pour la plupart d’origine maghrébine, une majorité de moins de 25 ans, quatre cents RMI et un chômage qui se frotte à la barre des 35_%.. Il y a des restaurants turcs, des salons de thé à la menthe, des boucheries «Halal_» et une mosquée coincée entre Mondial Moquette et l’école de l’immaculée Conception. Dans les rares cafés, autour de l’immuable billard, les hommes flottent le soir dans un océan de bière et grattent leur avenir sur des tickets «Millionaire_». A Roubaix, les immigrés frissonnent et s’endettent pour acheter une petite maison, parce qu’ils savent que leurs enfants vivront et mourront ici. A la maison des associations, les beurs de Lhommelet ont oublié l’arabe de leurs parents et brûlent toute leur énergie à organiser de matchs de foot pour les gamins du quartier et à courir après une subvention, un terrain.. «Il faut faire vite. Ce quartier est dans une merde noire_», dit un animateur. «C’est une bombe à retardement._»
De tous les animateurs, Rachid, l’un des entraîneurs de foot, est le seul à porter le survêtement et la barbe du croyant. Il a 22 ans, un CAP de soudure qui ne sert à rien dans la région, un titre de champion de boxe des flandres qui lui a laissé quelques cicatrices et surtout deux années, terribles, de dérive entre drogue et délinquance_: «Coke, tranxène, néo-codion… Je mélangeais tout. Pour le fric, je piquais des auto-radio ou une voiture._» Un jour à Tourcoing, bourré de cachets, il casse une usine, veut emporter un outil plus gros que lui. «A la sortie du tribunal, menottes à la main, ma sÐur insultait mes copains et ma mère hurlait de douleur. Ah! Les cris de ma mère… Je les entend encore aujourd’hui._» A la sortie du tribunal, il y a un islamiste, veste, cravate et petite barbiche, comme on en voit beaucoup depuis deux ans dans la région. Il prend Rachid par la main et lui propose une visite à la mosquée. Depuis, Rachid a laissé tomber les pilules et les vols minables. Il dit que «le jour a succédé à la nuit_» et que désormais son calme impressionne les gens dans la rue. A côté de lui, «Billal_» le blond boit ses paroles. Quelques semaines plus tôt, Billal était catholique_: il s’appelait Reynald. Le troisième copain de Rachid est un schtimie converti.
Trente mille «Français de souche_» sont devenus musulmans. Pour rencontrer l’un des plus connus, Daniel Youssouf Leclerc, il faut prendre un train jusqu’à Bobigny et grimper les onze étages d’une tour. Le nom d’Allah est inscrit sur la porte d’entrée, on enlève ses chaussures pour s’asseoir sur une grande banquette à l’orientale face à un contrôleur de gestion en informatique de 39 ans, barbe rase et cravate, intelligent, qui a la morgue et le charme des grands provocateurs. L’ancien jeune homme baba cool, chanteur de pop music, fumeur de shit et amoureux des voyages s’est transformé en fin lecteur du coran. Entre temps, il y a eu la rencontre avec les missionnaires du Tabligh et la plongée d’un an et demi par ce terreau universel d’un islam simple mais «un peu rudimentaire_». Depuis Youssouf Leclerc a fait son chemin, de l’animation d’une association de consommateurs musulmans, défenseurs de la viande «Halal_», jusqu’à la création de la Fédération nationale des Musulmans de France, concurrente insolente de la toute puissante Mosquée de Paris.
Aupourd’hui, il dirige un petit journal, «l’Index_», et écrit des éditos au parfum de souffre: «A quoi sert la Mosquée de Paris_», «Foulard: en avant, toutes voiles dehors_», «Boudiaf: mort d’un pourri._» Il se bat pour le droit à un tribunal pour musulmans, exige que les femmes puissent figurer avec leur voile sur une carte d’identité – «le foulard, c’est le préservatif des musulmans!_» -, et veut obtenir un vrai statut de la polygamie – «j’ai eu deux femmes, et alors?_». Le provocateur offre son plus beau sourire: «Si demain, on avait une majorité dans ce pays, pourquoi est-ce qu’on n’imposerait pas progressivement la Chariah… Ca vous dérange? Tant pis!_» Youssouf, c’est l’islamisme jusqu’à la passion de l’extrême.
Le converti a le mérite de dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas. Abdallah Ben Mansour, le puissant président des cent-soixante-sept associations de l’UOIF (Union des Organisations islamistes de France), est plus prudent et beaucoup plus politique. L’hiver dernier au Bourget, il a réuni 13_000 personnes et compte atteindre les 20_000 cette année. Inspiré par l’idéologie des «Frères Musulmans_», son mouvement a créé l’institut de la Nièvre, pour «former des cadres musulmans_». L’affaire n’en finit plus de faire scandale (voir encadré page 14). Il affirme que les lois de l’islam et de la république ne sont pas incompatibles mais part en guerre sur l’affaire du foulard et le drame de la Bosnie, «les deux taches qui vont marquer le front de la France_». Son organisation a aidé à la collecte de 500 tonnes de farine, 7 tonnes de médicaments et 20 tonnes de vêtements pour Sarajevo. «La haine anti-islamique a joué sans aucun doute sur le comportement politique (pro-serbe) de la France. L’histoire ne l’oubliera pas._» Il se fait conciliant: «Ecoutez! la France est en train de reculer partout dans le monde. Et l’avenir du monde arabe est dans les mains de l’islam. La France peut retrouver son rang, si elle traite avec les islamistes._» Avec Ben Mansour, l’islamisme est politique: il passe d’abord par le pragmatisme.
Abdhallah Ben Mansour rêve d’être l’interface avec le monde arabe; il enrage de dépendre financièrement de l’Arabie Saoudite. En dix ans, il s’est rendu trois fois en Arabie Saoudite et deux fois au Koweït pour collecter des fonds: «Il faut un visa pour Djeddah, contacter des organisations musulmanes, obtenir un rendez-vous au bureau des affaires religieuses…_» On lui remet ensuite des recommandations pour la Ligue islamique mondiale, des hommes d’affaires ou des commerçants. La manne saoudienne explique pourquoi hommes d’affaires, militaires et musulmans sincères font la queue à la réception annuelle de l’ambassade de Ryad, à Paris. Cette année, il y avait même un imam guadeloupéen venu plaider pour la construction d’une mosquée du côté de Pointe-à-Pitre.
«La pression saoudienne est essentiellement financière_», dit un haut-fonctionnaire français. Pour l’instant, Ryad rachète systématiquement tous les journaux en langue arabe, cherche à contrôler les radios avec un objectif clair: l’hégémonie du discours sur l’islam. Trente mille musulmans français font chaque année le pélerinage à la Mecque. A terme, il y aura le cable, Arabsat, les émissions en direct et les prières de la Mecque captés directement par n’importe quel foyer de musulmans: «Cette main mise sur l’expression audio-visuelle culturelle islamique sur notre territoire est extrêmement dangereuse_».
Est-ce à dire que le pays serait à la veille d’une flambée islamiste? Non, on l’a dit. Les spécialistes sont d’accord sur l’essentiel. D’abord pour mettre en garde contre le danger de laisser les banlieues devenir le trou noir de la société. «Ce que crient les jeunes de ces cités est qu’ils veulent se faire reconnaître comme Français, explique un ancien haut-fonctionnaire. Ou en cas de rejet, comme des marginaux musulmans! Il ne s’agit pas d’une vague de fond religieuse mais d’une vague de co»testation sociale_».
«Ne vous y trompez pas,dit Moustapha Diop, chercheur et enseignant aux langues orientales, L’homo islamicus n’existe pas. Otez le nom de Dieu du discours des jeunes et vous retrouverez une ressemblance étonnante avec le discours des tiers-mondistes d’hier» quand les « frères » s’appelaient « camarades révolutionnaires ». Ces jeunes crient à l’injustice. »_»
Dans son bureau de Banlieuescopies, Adil Jazouli, observateur permanent des cités, ne dit pas autre chose: «Qu’il y ait une tentation islamiste en France? Oui, c’est incontestable. Il y a dans ces banlieues toute une génération en apesanteur. Si le vent de l’Islamisme souffle fort, s’il ne rencontre que le vide de l’exclusion, il emportera une partie de ces je»nes. Mais si l’intégration avance… Tout retombera comme un soufflet.»
Un vendredi, près de la mosquée Stalingrad, dans un café du 19e arrondissement, Farid et Souffiane ont parlé tous les deux de leur errance; Souffiane, 29 ans, Algérien né en France, adolescent à la Casbah et revenu ici; et Farid, Français de 28 ans, technicien de spectacle. Ils se sont retrouvés par hasard à Paris et en ont profité pour faire le compte de leur vie: une expulsion pour une barre de shit dans la poche pour l’un et, pour l’autre, sept ans de «misère noire_» dans le tunnel des anti-dépresseurs et de l’héroïne. Au bout du chemin, Souffiane a rencontré l’islam avec les «frères_» de sa casbah d’Alger; Farid l’a découvert, par hasard, en ouvrant un Coran chez lui. Depuis, ils parlent beaucoup de leur paix retrouvée et de la musique qu’ils aiment: Salif Keïta, Marcus Miller, Jaco Pastorius et David Sanborn. Tous les deux jouent des percussions. L’un a voté pour le FIS et courait dans la manifestation pour la Bosnie; l’autre est resté chez lui.
Dans le café de Stalingrad, une femme trop maquillée dansait avec un maghrébin visiblement saoul. Sur l’écran vidéo, une fille faisait glisser sa culotte de soie sur les cuisses et Madonna sucait son doigt sur la couverture d’un magasine. Farid et Souffiane auraient aimé parlé plus longuement de leur foi, de l’islam. Mais il était 13_h_00 ce vendredi. Et ils sont partis tous les deux. Vers la mosquée, pour la grande prière.
JEAN-PAUL MARI
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