Canada : l’euthanasie flambe
15000 adultes ont obtenu l’aide médicale pour mettre fin à leurs jours l’an dernier, soit …près d’un canadien sur vingt.

Le pays, qui a légalisé la pratique en 2016, a l’un des taux d’euthanasie légale le plus élevé du monde, mais certains se demandent si ce n’est pas là un signe de dysfonctionnement social. Dans son cinquième rapport annuel sur l’aide médicale à mourir (AMM), disponible au Canada depuis 2016, Santé Canada indique que 15 343 personnes ont choisi cette méthode pour abréger leur existence, rapporte La Presse. L’organisme gouvernemental note que cette augmentation des cas n’est plus celle observée entre 2019 et 2022, qui était de 31 %, mais dit qu’il est encore trop tôt pour conclure à une stabilisation du nombre de cas à long terme. Son rapport signale que la mort naturelle était “raisonnablement prévisible” dans 96 % des cas, que l’âge médian des bénéficiaires était d’environ 78 ans et que la vaste majorité d’entre eux était de type caucasien.
Une enquête du Toronto Star a révélé sur la foi de données recueillies dans onze pays qui ont adopté l’AMM que le Canada “connaît la croissance [de cas] la plus rapide de l’histoire”. Mais la question divise profondément le pays.
Un homme souffrant d’une maladie pulmonaire sévère a demandé à bénéficier d’une euthanasie au Canada parce qu’il était sans abri et endetté. Une femme de 80 ans a sollicité une aide médicale à mourir après avoir perdu son mari, son frère et son chat en six semaines… Une enquête d’Associated Press sur l’aide à mourir au Canada, publiée la semaine dernière, révèle en filigrane des cas d’euthanasies apparemment motivés par des raisons sociales, pour des patients certes malades, mais dont le pronostic vital n’est pas engagé.
Racontant dans les pages du Globe and Mail les derniers moments de son père qui a requis l’AMM, Kelley Korbin estime qu’“il est temps de donner aux familles les outils pour les aider à accompagner leurs proches vers une mort paisible, tout en apaisant leur deuil et en les préparant à leurs nouveaux rôles”.
Triomphe des droits humains ou défaillance sociale ?
D’autres, comme l’avocat ontarien Orlando Da Silva, 56 ans, qui souffre d’une dépression débilitante depuis l’enfance et qui a plusieurs fois tenté de suicider, confie au diffuseur britannique Sky News qu’il aurait choisi l’AMM si on lui en avait donné la chance, mais qu’il a davantage besoin d’être aidé et non d’être assisté pour mourir :
“Nous devons aider. Nous devons donner de l’espoir. Je n’ai pas besoin d’une mort facile.”
L’AMM “viole” le serment d’Hippocrate, juge le chroniqueur Raymond J. de Souza du quotidien conservateur National Post, qui soutient qu’“administrer des injections létales n’est pas un acte médical”. “En enrobant l’euthanasie volontaire et le suicide assisté du thème séduisant de ‘mourir dans la dignité’, écrit dans La Presse Benoît Pelletier, professeur de droit de l’université d’Ottawa, on s’est trouvé à rendre moins présent dans le débat public des questions pourtant fondamentales, comme celles qui sont liées à la valorisation de la vie ou aux risques de banalisation du suicide.” Exposant le cas du quadriplégique québécois Normand Meunier, qui a choisi l’AMM en mars dernier après avoir passé quatre jours dans une salle d’urgence où il a développé des plaies de lit, le bioéthicien albertain Blake Murdoch argue que :
“Le filet de sécurité sociale défaillant du Canada pousse les gens vers l’aide médicale à mourir.”
En février, le gouvernement canadien a annoncé le report à 2027 de l’AMM pour les personnes souffrant de troubles mentaux, prétextant un problème de préparation du système. Mais, ajoute Le Journal de Montréal, “des sénateurs soupçonnent que la raison est avant tout politique”.
Martin Gauthier
Enquête AP – Source Le journal de Montréal – Publication Courrier International
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