« Champs de bataille »
J’avais vingt ans, mes cheveux étaient longs, mes pantalons finissaient en pattes d’élephant, je portais la barbe et toujours un exemplaire de “ La Société du Spectacle “ dans la poche de ma parka tagée au feutre de slogans pour la “ Paix au vietnam”.
Mon engagement consistait à manifester, avec les potes de la fac de Vincennes, pour des causes que nous croyions justes… La découverte de l’appareil photographique qui permettait le contact du réel, mon premier reportage pour le quotidien Liberation : une manif du CAP ( Comité d’Action des Prisonnier ) devant le palais de justice de Paris, montrait la voie à suivre ; Utiliser l’image comme un outil qui permettait de montrer, raconter le Monde.
Quelle plus noble entreprise que celle de communiquer aux autres la vie de l’homme dans sa splendeur et ses tourments. “ Pour tout bagage on a vingt ans “ disait Léo Ferré, et la dure réalité n’en finissait pas d’écorner cette illusion de paix et de fraternité sur terre, jusqu’à un jour de mai 1999, ou sur un terre-plein marquant la limite entre les territoires serbes et albanais je vis une misérable carriolle trainée par une vieille femme en chiffons passer la frontière et avalée par une nuée de caméramans et photographes la bousculant, la renversant et marquant son entrée dans le “monde libre”.
La démonstration des écrits prophétiques de Debord et la révélation soudaine que j’étais devenu un “ bon “ élément de cette machine à broyer les coeurs et les esprits : Les médias (mais était-ce mieux avant…), me firent poser les caméras et décidèrent d’une “pause” dans mon approche formelle du discours photographique. Parler de la guerre, ma terre d’élection, sans “spectacularisation” m’entrainèrent dans une logique rigoureuse et implacable du contre-champ photographique.
Plus de boitiers moteurs à 10 images/secondes, une chambre en bois utilisant des plaques sensibles grands formats. Plus de ces images émotionnelles qui ressemblent de plus en plus à des images de jeux vidéo, , l’utilisation toujours de la même optique, le 50mm ( 360mm avec la chambre en bois), le refus de tout filtre, la chromie respectant les couleurs du réel ( pas d’effet photoshop). Un travail journalistique de documentation pointilleux, digne d’un reportage d’investigation.
Et je réalisais les premières images en février 2004, en Normandie, le lieu du débarquement. Les résultats m’encouragèrent, et après plus de dix ans de prises de vue, 250 champs de bataille, 33 pays différents, plus d’une dizaine d’huissiers sonnants régulièrement à ma porte, je rendais ma copie, un livre…
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