Chine : silence, on tue… en masse !
Dans une société gagnée par l’exil, l’épuisement au travail et le désengagement social, le nihilisme meurtrier se répand…
Que se passe-t-il en Chine ? En quelques semaines, le pays a connu ses tueries de masse les plus meurtrières depuis une décennie. Le 11 novembre 2024, un homme de 62 ans a foncé en voiture dans la foule à Zhuhai, causant la mort de 35 personnes et blessant 43 autres. Le retraité a expliqué son geste par une frustration liée aux règles de partage des biens lors de son divorce. Quelques jours plus tard, un étudiant a poignardé au hasard huit personnes dans la rue, déclarant être en colère d’avoir échoué à ses examens. Ces actes tragiques s’inscrivent dans un climat de tensions croissantes au sein de la société chinoise.
Plus tôt cette année, des tensions diplomatiques ont émergé après que des Japonais ont été pris pour cible, mais ces affirmations nécessitent des vérifications complémentaires. Dans tous les cas, ces incidents révèlent une société sous pression, où des frustrations individuelles se transforment parfois en actes de violence extrême.
Des actes de revanche sur la société
Si le pouvoir chinois peut parfois se montrer compatissant envers les victimes, il est surtout prompt à museler toute remise en cause de son autorité. À cet égard, l’intervention publique du président Xi Jinping concernant la tuerie de Zhuhai est notable, car elle reste rare. Il a déclaré : « Toutes les régions et tous les départements concernés doivent tirer les leçons du passé, renforcer la prévention et le contrôle des sources de risque, résoudre les conflits et les litiges en temps opportun, prévenir les cas extrêmes et faire tout leur possible pour garantir la sécurité de la vie des personnes et la stabilité sociale. »
Cependant, au-delà des réponses sécuritaires, un autre enjeu est mis en lumière : le contexte socio-économique qui pèse lourdement sur la société chinoise. En ligne, de nombreux internautes interprètent ces actes comme des « actes de revanche sur la société ». Derrière le fait divers, c’est le fait social qui transparaît. La pression exercée sur les cadres locaux ne fait qu’amplifier cette situation : un nombre élevé de victimes lors d’accidents ou de catastrophes peut leur coûter leur poste, une réalité bien connue dans le système chinois.
Censure, censure, censure…
La société chinoise traverse une période de malaise profond. La frustration sociale ne cesse d’augmenter, dans un pays qui reste l’un des plus inégalitaires au monde, avec un coefficient de Gini de 0,467 en 2022, un chiffre bien supérieur à la moyenne de la région Asie-Pacifique. Le chômage des jeunes a récemment atteint des sommets si élevés que le gouvernement a cessé de publier les statistiques officielles pendant plusieurs mois. Même si la situation commence à se stabiliser, l’optimisme promu par le « rêve chinois » semble de plus en plus hors d’atteinte pour une partie de la population.
En parallèle, la censure frappe systématiquement. Les hommages déposés par les riverains sur les lieux de la tuerie de Zhuhai ont été effacés en quelques heures. En ligne, les articles de presse ou de blogs évoquant ces événements ont été supprimés, et seule la version officielle des faits est autorisée à circuler. Ce contrôle strict traduit une peur palpable au sein du pouvoir : celle que des sentiments comme le chagrin, le doute, ou la colère ne finissent par rapprocher les citoyens et alimenter une contestation collective.
L’absence de liberté n’est plus un garant de la sécurité
Certes, le faible taux de criminalité en Chine est maintenu grâce à une surveillance étroite et à des contrôles stricts. Mais une question émerge : que feront les Chinois s’ils constatent que cette absence de liberté individuelle n’offre plus une garantie de sécurité ?
La réponse pourrait bien se trouver dans l’histoire. En 2021, l’un des mots les plus censurés sur les réseaux sociaux chinois était « Xianzhong », une référence à un usurpateur du XVIIᵉ siècle connu pour ses massacres. Un poème apocryphe, lui attribuant des vers se terminant par « tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer, tuer », est souvent utilisé pour dénoncer les abus de pouvoir et les violences de masse. Aujourd’hui, les termes « Xianzhong » et « 7 tuer » ont été effacés des plateformes chinoises.
Dans une société où l’exil, l’épuisement au travail et le désengagement social semblent être les seules options pour une partie de la population, une voie extrême se dessine : celle d’un nihilisme meurtrier.
(Note : Le coefficient de Gini est un indicateur statistique qui mesure les inégalités dans la répartition des revenus ou des richesses au sein d’une population. Il a été développé en 1912 par le statisticien italien Corrado Gini.)
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