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Colombie. Comment survivre à une embuscade.

publié le 24/06/2012 | par Jean-Paul Mari

Voir le film de Roméo Langlois

Roméo Langlois est un grand reporter comme on les aime. Simple, direct, qui raconte les chose telles qu’elles se sont passées. Sans fioritures, sans poser, sans se mettre en scène, sans pathos. En faisant passer les faits, le sujet du reportage, avant son ego. Façon de mettre les choses en ordre.

Là, pour l’heure, il revient de Colombie où il a passé une dizaine d’années à filmer les évènements. Un peu pâle le Roméo. Il porte un grand plâtre au bras. Et pour cause, il vient juste d’être opéré du coude qu’une balle de Kalachnikov a fracturé. Il y a quelques semaines à peine, les guérilleros du FARC l’ont fait « prisonnier de guerre », le soupçonnant d’être un agent américain ou israélien, avant de reconnaître qu’il n’était qu’un journaliste, un reporter français, tombé dans une embuscade, celle-là même où quatre soldats colombiens ont été abattus. Blessé, pris en otage, Roméo s’en est sorti. Le reporter est un survivant.

Sur le plateau de télévision de France 24, il raconte et montre ce qu’il a filmé. Le départ en hélicoptère avec l’armée colombienne pour une opération de destruction de laboratoire de cocaïne dans les montagnes. Une première intervention qui tourne rond, les soldats qui sautent de l’hélico, trouvent le labo, brûlent tout et réembarquent. Et la deuxième, où tout foire. Le labo est abandonné, le maquis est tenu par un chef des FARC, les premières balles fusent, le commando est « fixé », encerclé, à découvert, piégé.

L’hélico qui revient se fait mitrailler, les renforts ne sont pas disponibles, les hommes sont aplatis dans les buissons, aveugles, sous le feu. Là encore, merci à Roméo de nous raconter les choses telles qu’il les a vues. Être pris dans une embuscade, c’est ne pas voir grand chose, sinon les impacts des balles autour de vous et les soldats qui tombent. Les hommes du commando sont des pros, ils meurent sans se lamenter. Et Roméo voit le sergent chargé de sa protection lui confier que sa famille n’aime pas trop qu’il fasse ce métier, que c’est son métier, et que parfois, les choses tournent mal. Le sergent lui dit tout ça face caméra, le nez dans l’herbe, juste avant qu’une balle ne le tue.

Roméo a une balle dans le coude, il récupère les cartes mémoire de sa caméra, – son reportage – jette l’instrument inutile, rampe, se planque. Les FARC ont gagné, ils investissent la position, Roméo lève les bras, il est pris. Et restera trente trois jours en otage dans la jungle. Roméo ne panique pas. Les FARC, il les connaît pour les avoir déjà filmé et interviewé dans la jungle.

Je me rappelle un de ses reportages, « Pour tout l’or de la Colombie », proposé au Jury du prix Albert Londres. Superbe. Impressionné, j’avais plaidé en sa faveur. Le jury a finalement préféré une très belle enquête sur le cuivre en Zambie. Mais je savais qu’on entendrait à nouveau parler de ce reporter français à l’accent de l’Aveyron.

Son dernier film, « Colombie, à balles réelles » est un modèle de reportage. Et il a retrouvé une caméra au moment de sa propre libération, histoire de finir le travail. Et quand on lui parle de peur, de doute, de courage, tous ces éléments sur lesquels d’autres s’étalent jusqu’à l’écœurement, il répond simplement que sa caméra lui a permis d’éviter de se poser ce genre de questions.

Roméo parle un langage de reporter, de celui qu’on reconnaît et qu’on comprend. Il nous raconte une histoire. Celle des autres le plus souvent. Et cette fois-ci un peu la sienne aussi. Mais il n’oublie pas en revenant d’aller saluer la famille du sergent, mort à ses côtés. Le soldat colombien faisait bien son métier. Comme Roméo, reporter français.

Le PLUS des « Carnets d’un grand reporter » : voir le film de l’embuscade.


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