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Corée : les soldats qui venaient du froid

publié le 01/03/2025 par Malik Henni

Quatre mois après leur déploiement en Russie occidentale, que deviennent les combattants de Corée du Nord  expédiés au front par leur cher dictateur ?

Du riz contre des hommes

Depuis octobre 2024, pour la première fois de l’histoire, une nation asiatique déploie des troupes sous son propre commandement en Europe. La décision trouve son origine en juin, lorsque Vladimir Poutine s’est rendu en Corée du Nord pour sceller un accord de coopération et d’alliance avec Kim Jong-un. Depuis, les livraisons d’armes de Pyongyang vers Moscou se sont intensifiées, alimentant l’effort de guerre russe.

En échange, Moscou fournit des tonnes de riz, une ressource précieuse pour un pays au bord de la disette, et promet à plus long terme des devises étrangères ainsi que des technologies de missiles balistiques pour soutenir le programme nucléaire nord-coréen. Officiellement, aucun des deux États n’a reconnu ce déploiement. Pourtant, fin 2024, interrogé sur le sujet, Vladimir Poutine s’est gardé de le démentir.

Loin de Pyongyang, ils découvrent …un autre monde

Les Nord-Coréens ont été envoyés en première ligne pour contenir l’offensive ukrainienne dans la région de Koursk. Mais ces troupes n’avaient guère d’atouts : elles n’ont plus combattu depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. Leurs adversaires, eux, sortent de deux ans de guerre intensive, rompus à l’usage des drones et des frappes d’artillerie de précision. Pour ces soldats nord-coréens, engagés pour 2 000 dollars par mois – une somme considérable pour eux –, le front russe représente une opportunité financière bien plus qu’un combat idéologique.

Loin de la propagande de Pyongyang, leur objectif est d’envoyer de l’argent à leur famille, quitte à risquer leur vie dans une guerre dont ils ne comprennent pas toujours les enjeux. Une fois sur place, ils découvrent un autre monde : selon le Financial Times, beaucoup d’entre eux profitent de leur premier accès illimité à Internet pour…. se « gaver de porno ».

Chair à canon

Quatre mois après leur arrivée en Russie occidentale, leur sort illustre la brutalité du conflit. L’armée nord-coréenne s’était préparée à une guerre sur un territoire inconnu, mais elle s’est rapidement révélée vulnérable aux assauts ukrainiens. Les drones et l’artillerie de Kiev leur ont infligé de lourdes pertes.

Malgré leur fanatisme idéologique, leur détermination et leur loyauté envers Kim Jong-un mais mal intégrés et insuffisamment formés, ils pâtissent de problèmes de communication, du manque de sophistication dans les tactiques et restent vulnérables face aux défenses ukrainiennes. ce qui conduit à des assauts frontaux souvent infructueux et à de lourdes pertes humaines. Selon le commandement ukrainien, la situation a été telle que les troupes de Kim Jong-un ont dû se retirer temporairement du front : environ 1 000 combattants – sur trois mille – auraient été tuées.

La pensée du «corps-maître », Kim Jong-un

Fidèle aux préceptes du Juché, (« pensée du corps-maître », idéologie autocratique) Pyongyang exige de ses soldats un dévouement total : ordre leur a été donné de choisir la mort plutôt que la capture. Pourtant, au moins deux soldats ont été faits prisonniers vivants, et ils se sont révélés bavards. L’un d’eux a raconté au Wall Street Journal qu’il pensait combattre des Sud-Coréens en Ukraine où, désormais, il aimerait s’installer. L’autre rêve de fuir vers le Sud.

De nouveaux renforts ?

À l’heure où les alliés de Kiev rechignent à envoyer des troupes sur le terrain, Moscou a réalisé un coup diplomatique en brisant son isolement grâce à une alliance avec l’un des États les plus fermés du monde. Pour Pyongyang, l’engagement en Ukraine est un pari risqué mais calculé : en échange de ses hommes, Kim Jong-un espère des gains technologiques et financiers substantiels. Le 27 février, Séoul, toujours en alerte face à son voisin du Nord, a affirmé que de nouvelles troupes nord-coréennes allaient bientôt rejoindre le front. La veille, Kim Jong-un visitait une académie militaire et exhortait ses soldats à intensifier leurs entraînements pratiques. Le 1ᵉʳ janvier, il adressait ses vœux à Vladimir Poutine, lui souhaitant que 2025 soit «l’année de la victoire de l’armée et du peuple russes contre le néo-nazisme », reprenant ainsi le vocabulaire de Moscou.

Reste à savoir combien de temps ces soldats, déployés à des milliers de kilomètres de chez eux, pourront tenir face à une guerre qui les dépasse et à laquelle ils n’ont, en réalité, jamais été préparés.


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