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CPI contre Netanyahou : divorce à l’israélienne

publié le 06/12/2024 par Marc Lefevre

Colère, lassitude, incompréhension, fractures internes, les poursuites internationales contre les dirigeants israéliens secouent la société

L’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI) ordonnant des poursuites judiciaires pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre du premier ministre Benjamin Netanyahou et de son ministre de la défense Yoav Galant n’est qu’un épisode de plus dans l’histoire houleuse des relations entre l’état d’Israël et les institutions internationales. La liste est longue, depuis la condamnation de l’ONU assimilant sionisme et racisme, en passant par le non-respect de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité de 2006 imposant le retrait du Hezbollah du Sud Liban, sans oublier les financements européens de manuels scolaires palestiniens ignorant l’existence de l’état hébreu, comme l’accusation de contamination de l’UNRWA par le Hamas. Bref, les israéliens n’ont plus confiance dans les institutions internationales.

Pour Israël, la condamnation est plus politique que juridique

La cour de la Haye, par définition indépendante et impartiale, est constituée comme une cour de justice complémentaire des tribunaux nationaux et ne les remplace pas. Elle est censée engager des poursuites judiciaires contre certains Etats à la condition que ces mêmes Etats ne puissent ni ne veuillent engager des poursuites sur les mêmes motifs par leurs propres institutions judiciaires. L’argument d’Israël est qu’il dispose d’institutions judiciaires indépendantes capables de poursuivre et juger les faits incriminés, d’où l’appel formulé par l’État d’Israël auprès de la CPI pour surseoir à ses poursuites.

Pour une grande majorité d’Israéliens, soutiens ou opposants au gouvernement actuel, le rejet de cet appel par la CPI a été considéré comme un refus plus politique que juridique. Le sentiment collectif est d’être incompris par le monde extérieur. Mettre un pays obligé de se défendre contre des organisations ou des états qui prêchent sa destruction sur le même plan qu’un Poutine envahisseur de l’Ukraine, ne passe pas dans l’opinion publique.

Un argument pour les extrémistes religieux

Pour les irréductibles de la colonisation et les messianiques religieux, ce sentiment d’incompréhension sert de support à leur extrémisme, un sentiment instrumentalisé par Benjamin Netanyahou pour justifier son intransigeance. A l’autre extrémité du spectre politique, même si les excès militaires et les graves insuffisances humanitaires à Gaza sont dénoncés et critiqués, cette décision de la CPI a été jugée maladroite et contreproductive.

Pourtant, paradoxe, cette décision, même mal perçue, peut aider les opposants au gouvernement. Et à ses manœuvres. En effet, depuis quelques semaines, les extrémistes du gouvernement ont relancé la guerre judiciaire qui a précédé le 7 octobre. Ce texte incendiaire contient des propositions de lois les plus incongrues pour affaiblir le système judiciaire israélien, doublé de pressions pour museler une presse encore libre et indépendante.

Sur fond de bataille contre l’État de droit

D’un côté, les alliés les plus radicaux les plus virulents condamnent les accusations de la CPI ; de l’autre, ils multiplient les actions pour saper ce qui reste des fondements d’un état de droit, façon de rendre vains les recours juridiques possibles contre cette même décision de la CPI.

A l’intérieur du camp de Benjamin Netanyahou, certains ont commencé à prendre conscience de cette contradiction. A titre d’exemple, les tentatives pour démettre de leurs fonctions les conseillers juridiques du gouvernement, considérés comme des empêcheurs de tourner en rond, viennent d’échouer. Pour le moment, le système du contrôle juridique des actions du gouvernement est préservé, et il peut dire merci… à la CPI.

Des militaires excédés et menacés

Quant à l’establishment militaire, il commence à perdre patience. Fait exceptionnel, le contre-amiral Daniel Hagari porte-parole de Tsahal -unanimement reconnu jusqu’à maintenant pour son sang-froid – s’est permis de critiquer un projet de loi destiné à protéger les collaborateurs du 1er Ministre accusés d’avoir détenu et exploité des informations confidentiel défense. Certes, il a été aussitôt réprimandé pour avoir enfreint les règles de neutralité de l’armée mais l’écart est symptomatique de l’irritation des sphères militaires, excédées en particulier par les blocages politiques empêchant la libération des quelques otages encore en vie à Gaza.

Reste que l’armée est forcée de prendre ses précautions : s’organiser pour éviter des arrestations lors de déplacements à l’étranger de soldats et d’officiers ayant servi à Gaza, interdiction de publier des témoignages sur les réseaux sociaux pouvant être utilisés pour des poursuites, autorisation préalable avant tout voyages à l’étranger.

Une population à bout

Les poursuites décidées par la CPI ont donc contribué à renforcer un sentiment d’encerclement et d’incompréhension ressenti quasi unanimement par la majorité de la population israélienne, pénétrée du « Complexe de Massada ». De plus en plus las et nerveux, les Israéliens n’espèrent plus qu’un apaisement à Gaza et le renfort, face à la CPI, d’une Commission d’enquête d’Etat indépendante sur les responsabilités autour des massacres du 7 octobre. Là où tout a commencé.


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