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Darfour: Terre de feu

publié le 21/06/2007 | par Jean-Paul Mari

Malgré une dramatisation abusive qui atténue parfois la force du propos,
voici un vrai reportage de terrain au coeur du confl it du Darfour. Saisissant.


A force de vouloir être spectaculaire, de marteler
que tout est dangereux, la région, les routes,
les pistes, les gens, l’atmosphère, l’air et
la poussière ; à force de s’affi rmer « exclusif »
même pour un entretien avec un ministre tchadien,
de montrer le présentateur de la soirée
« sur le terrain », en 4 X 4, devant une tente,
debout, assis, de profi l, face aux réfugiés et
aux militaires, une starisation à marche forcée
qui montre davantage l’intervieweur que
l’interviewé… on fi nit par affaiblir son propos
et par perdre de vue l’objet du documentaire.
Dommage.
D’autant que le reportage fi lmé au Tchad puis
au Darfour, au-delà de la frontière interdite
du Soudan, apporte des éléments forts sur le
drame en cours. Quelques images de complaisance
en moins et quelques informations en
plus auraient permis d’offrir des repères à un
public noyé par la complexité du contexte régional.
Le Darfour se trouve à l’est du Soudan,
collé contre le Tchad. Dès les années 1980, le
gouvernement de Khartoum a mené une répression
très dure, au sud du pays, près de
l’Ouganda, contre un autre mouvement rebelle,
le SPLA, dirigé par John Garang. Pendant cette
guerre de vingt ans, qui vient à peine de se terminer,
Khartoum utilisait déjà les bombardements
aériens et les djandjawids, ces milices
qui attaquent les civils. Au Darfour, le confl it
a commencé dès 1987-1989.
A l’origine, une population du Darfour qui revendique
plus d’autonomie par rapport au pouvoir
central. A cela va s’ajouter une guérilla
entre nomades et sédentaires pour le contrôle
des points d’eau, de plus en plus rares à cause
de la sécheresse croissante. Dès 1996-1998,
la guerre éclate entre Arabes et non-Arabes,
tous musulmans. Les tueries et la politique
de la terre brûlée des « milices arabes » feront
plusieurs centaines de victimes et 100 000 déplacés
qui se retrouveront dans les camps au
Tchad. En 2003, tout fl ambe avec le réveil des
mouvements rebelles du Darfour et une répression
militaire impitoyable. Depuis, l’armée
et l’aviation de Khartoum appuient au sol les
milices arabes, les djandjawids, qui nettoient
la région à coup de massacres, d’assassinats,
de viols et de tortures. Bilan estimé, en quatre
ans : 200 000 morts et 2,5 millions de réfugiés.
Dès lors, on retient le terme « génocide » pour
ce qui est plus sûrement des crimes de guerre
et contre l’humanité. Rébellion ouverte d’une
province, guerre de l’eau entre nomades et
sédentaires, crise au Tchad voisin quand les
combats débordent la frontière soudanaise,
le tout compliqué de l’action de rebelles tchadiens,
opposés à leur propre gouvernement
de Ndjamena… On le voit, le Darfour n’a rien
du confl it linéaire.
L’intérêt du reportage est de montrer, comme
le souligne le commentaire, « ces massacres
dont tout le monde parle et qu’on ne voit jamais
». Nous sommes au Tchad, à une quarantaine
de kilomètres de la frontière, et les
milices ont attaqué Tieuro et Marena. La caméra
fi lme les deux villages saccagés, brûlés,
dont les cendres fument encore. Au sol, des
cadavres « frais » de moins de trois jours. Et
des survivants, armés d’arcs, de fl èches et de
sabres, armes dérisoires à opposer aux kalachnikovs,
qui témoignent de l’arrivée des
djandjawids, à cinq heures du matin. Quatre
cents morts ? Impossible de confi rmer le chiffre
; reste que les villages sont détruits et que
9 000 villageois ont fui vers le camp de réfugiés
le plus proche. Quand l’équipe de reportage
passe la frontière à cheval pour entrer au
Darfour, c’est avec l’aide de rebelles soudanais
pour raconter leur îlot de résistance dans le
Djebel Moon, à vingt-quatre heures de marche
plus loin. Ici, plus de refuge, plus d’ONG, plus
de logistique mais une centaine d’hommes isolés,
résistants du SLA (Armée de Libération du
Soudan), un ancien policier devenu chef d’une
section, des « soldats » quasiment en guenilles,
armés de vieilles kalachnikovs, de lance-roquettes
hors d’âge et de rares mitrailleuses
montées sur des pick-up bricolés.
Face à l’armée de Khartoum, ses hélicoptères
de combat et ses bombes de 300 kilos, la
lutte est inégale. Le gouvernement du Soudan
a beau maintenir la thèse d’une « bagarre entre
tribus » pour justifi er la tragédie du Darfour, le
fi lm montre les restes de projectiles qui n’ont
pu être lâchés que par des Antonov et du matériel
moderne, de fabrication chinoise, mis à
la disposition des agresseurs – mitrailleuses
lourdes, mines et artillerie. Pékin, grand consommateur
d’énergie et peu regardant sur les
moyens, court toute l’Afrique à la recherche
d’hydrocarbures. La Chine est devenue le premier
client du pétrole du Soudan, qui se fait
payer en armes. Ceci explique aussi la mauvaise
foi et le barrage diplomatique que les
Chinois opposent à toute action des Nations
unies contre le régime soudanais d’Omar Béchir.
Pourtant, la pression augmente. En janvier,
la Cour pénale internationale a inculpé
deux responsables soudanais de crimes contre
l’humanité et, le 12 juin dernier, le Soudan a af-
fi rmé qu’il acceptait enfi n le déploiement d’une
« force hybride » Union africaine/Nations unies,
dont 3 000 casques bleus au Darfour. Reste une
image, celle de ces jeunes réfugiés soudanais
d’une école du camp de Farchana, au Tchad.
Certains sont là depuis quatre ans. Et quand
on demande à ceux d’entre eux qui ont perdu
un parent proche de se lever… c’est toute la
classe qui se retrouve debout ! ■

Jean-Paul Mari


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