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Désert de Gobi: la ruée vers l’uranium.

publié le 30/01/2015 | par Erik Bataille

Huit cents ans après son âge d’or, la Mongolie revendique sa place en Asie. Elle se cherche un modèle original où faire cohabiter des concepts aussi éclectiques que la glorieuse épopée guerrière de Chingis Khan, des cultures religieuses tolérantes, une économie forte basée sur le commerce et les ressources naturelles, sans les excès de la société de consommation. Son empire des steppes l’a menée aux confins des mondes turc, coréen, japonais, russe, chinois….Ses intellectuels ont côtoyé bouddhistes, confucianistes, musulmans, orthodoxes, laïcs, féministes…
Ce serait comme réinventer la «pax mongolica» qui dans les temps historiques créa un immense marché économique et culturel ouvert sur l’Europe, la Chine et l’Inde.
Pour réussir cette gageure, elle dispose de trois atouts majeurs:
une spiritualité tolérante, le pactole minier du désert de Gobi et un féminisme exceptionnel.


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Depuis des siècles, le Gobi est l’un des no man’s land les plus mystérieux de la planète. On savait que les armées impériales mongoles et chinoises s’y étaient affrontées lors de batailles d’anthologie. Que ses tempêtes de sable pouvaient bousculer les dunes jusqu’à engloutir des caravanes de plusieurs centaines de chameaux, voire des cités entières. Qu’on y mourrait de chaleur l’été et de froid l’hiver, et que des créatures mythiques avaient hanté ses déserts.

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En 1900, Osborn, le célèbre paléontologiste américain, y organise une grande expédition. Il pense découvrir les restes des premiers hominidés. A la place, il trouve de très nombreux ossements d’animaux connus par les rares nomades locaux sous le nom de dragons. Un véritable filon de dinosaures! Il répertorie des Protoceratops à corne, des Hadrosaures à bec de canard, des Ankylosaures, des Segnosaures, des Bronchiosaures…

Les révolutions locales interdisent la zone occupée par les soviétiques jusqu’en 1991. Quand l’URSS se désintègre, les russes quittent le pays, oubliant dans un bureau gris et sans fenêtres de la place Sukhbaatar des liasses de rapports et de cartes géologiques. Plus d’un demi-siècle de relevés et de découvertes soigneusement archivées. Le désert était aussi un véritable coffre-fort avec d’immenses réserves de métaux précieux.

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Automne 2014. Les deux principaux gisements de cuivre et de charbon d’O.T et T.T sont maintenant en exploitation dans des mines gigantesques où se côtoie la confrérie des cadres mineurs du monde entier. Jack l’électricien canadien côtoie des foreurs australiens, des ingénieurs malgaches, des géologues français…sous la surveillance d’un responsable de sécurité papou et enthousiaste. «On est 53 nationalités différentes pour 15.000 salariés».

La planète mine a fait de ce bout de désert ingrat son nouvel eldorado. Chaque quinzaine ou mois, selon le contrat, des groupes essaiment à travers les fuseaux horaires pour retrouver une famille ou se reposer. L’or est exporté vers la Chine sous forme de poussière de minerai, le cuivre en berlingots et l’uranium n’attend qu’un paraphe sur un document pour être extrait.

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Ce minerai si controversé, découvert dès 1789, est resté «ordinaire» jusque dans les années 1930 lorsque des physiciens découvrent ses particularités physiques. En se désagrégeant, un seul atome produit un million de fois plus d’énergie que le même atome de charbon! La première source de chaleur du manteau terrestre est présente en quantité dans les Gobis où les géologues traquent son signal radio depuis une quinzaine d’années.

Après avoir prélevé des milliers de carottes du sol, chacune est scrutée, mesurée et soumise au compteur gamma pour y espérer un signal au dessus de 120, Ils ont dessiné une carte en 3D du sous-sol puis effectué un test de récupération du minerai selon la méthode de lixiviation déjà utilisée au Kazakhstan, premier producteur mondial. On injecte un mélange d’eau, d’acide sulfurique et de peroxyde d’hydrogène dans un gisement piégé entre deux couches imperméables. La solution circule, se charge en uranium avant d’être pompée puis traitée en surface dans des filtres où se fixe le minerai. Le liquide est ensuite réinjecté pour un nouveau cycle.

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Bientôt, l’entreprise franco-mongole Cogegobi va démarrer la production industrielle du fameux «yellow cake», à une centaine de kilomètres de la frontière chinoise. En contrepartie des droits de concession sur 18.000 km2, le groupe investit dans l’économie locale jusqu’alors inexistante. Dans l’éducation, la santé, l’agriculture…Si certains éleveurs demeurent réticents devant les nuisances attendues, d’autres, comme Dorge, cultivent maintenant concombres et fruits à l’ombre de saxaouls.

Depuis que la route a remplacé la piste jusqu’à Zumbayan, ville fantôme de l’ex armée rouge, les équipes minières ont déserté le transsibérien-mongol-Chine. Oublié le charme suranné des wagons de bois se dandinant dans la steppe, les hôtesses en uniforme strict et bas couture veillant sur les samovars fumant au bout de couloirs moquettés d’épais tapis, les somptueux couchers et levers de soleil sur l’herbe blonde. Tous rejoignent maintenant la base-vie de Dulan Uul en quelques heures de route monotone depuis la capitale.

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En attendant l’exploitation du gisement, de nombreux locaux scrutent le développement fulgurant des nouvelles mines. Surtout celle d’Oyu Tolgoi. Un monstre industriel avec ses milliers de salariés, son aéroport et sa route privée, à 1 million de dollars le kilomètre, qui rejoint directement la Chine. On envie la sécurité matérielle, les salaires élevés et les bonnes conditions de travail mais on craint la pollution à venir et l’impérialisme dédaigneux de ces conglomérats internationaux.

Une certaine nostalgie s’installe et d’autres chercheurs de trésors se mettent à rêver de dinosaures (jusqu’à un million de dollars le spécimen) et du légendaire Khorkoï, le monstrueux ver tueur du Gobi. Aussi gros qu’une assiette et rouge comme du sang frais, il guette ses proies sous les sables. Les rares éleveurs l’ayant aperçu racontent que son poison est aussi fulgurant que sa décharge électrique!

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