Djibouti : le piège chinois
Les Chinois ont installé une base militaire massive et ont poussé le pays à s’endetter lourdement auprès de leurs banques…
La République de Djibouti, ancienne colonie française, est avant tout un port stratégique situé sur la rive ouest du détroit de Bab-el-Mandeb, qui ferme, au sud, la mer Rouge. Ce minuscule État de la Corne de l’Afrique, d’une superficie de 21 000 km² (environ quatre départements français), est constitué principalement de montagnes arides culminant à 2 000 mètres et de déserts caillouteux. Sa population, majoritairement musulmane, dépasse légèrement le million d’habitants, dont plus de 50 % vivent sous le seuil de pauvreté. Depuis son indépendance en 1977, le président appartient toujours à la même famille.
Djibouti tire une grande partie de ses revenus des activités portuaires et des loyers versés par les nombreuses bases militaires étrangères installées sur son territoire, une manne évaluée à environ 170 millions de dollars par an.
Une position géostratégique convoitée
Situé en face du Yémen, de l’autre côté d’un détroit de 28 km de large, Djibouti voit transiter 40 % du commerce mondial du pétrole et 30 % du trafic de conteneurs. Ce point névralgique du commerce mondial constitue également une base essentielle pour le ravitaillement et le déploiement de forces navales, aériennes et terrestres.
La France avait bien compris cette importance stratégique lorsqu’elle y établit sa présence coloniale sur cette route maritime menant, après le canal de Suez, à Madagascar ou à La Réunion. De leur côté, les Britanniques avaient investi Aden, à 170 km à l’est sur la côte yéménite, pour sécuriser leur route des Indes. Aujourd’hui encore, Djibouti attire toutes les grandes puissances désireuses de jouer un rôle international.
Une base pour les militaires Français et Américains
Historiquement, la France y avait installé des troupes de la Légion étrangère. Elle maintient aujourd’hui 1 500 hommes sur place, appartenant à un régiment interarmes des troupes de marine, appuyés par quelques Mirage 2000 et des unités navales. D’autres contingents militaires, notamment allemands, espagnols, italiens et japonais, sont également présents pour lutter contre la piraterie maritime.
Les États-Unis, quant à eux, se sont massivement implantés après les attentats du 11 septembre 2001 sous couvert de lutte contre le terrorisme. Leur base, le Camp Lemonnier, abrite environ 4 000 soldats, principalement des Marines, ainsi qu’une flotte aérienne composée de drones et d’appareils capables de mener des frappes en Somalie ou au Yémen.
La stratégie chinoise du « collier de perles »
La Chine, cependant, est la puissance étrangère qui s’est montrée la plus ambitieuse dans sa volonté de dominer Djibouti. Cette stratégie s’inscrit dans le cadre du « collier de perles », un réseau de bases et de dépendances économiques le long des « nouvelles routes de la soie » visant à étendre l’influence de Pékin.
En 2017, les Chinois ont ouvert leur première base militaire à Djibouti, dans le port de Doraleh, à seulement 8 km de la capitale. Officiellement destinée à la lutte contre la piraterie, cette base s’est dotée d’une immense jetée de 380 mètres capable d’accueillir des frégates, des porte-hélicoptères et des sous-marins. Les infrastructures n’ont cessé de se développer depuis.
Officiellement, 400 militaires chinois sont stationnés sur place. Toutefois, les services de renseignement occidentaux estiment que le personnel total se situe entre 5 000 et 10 000 personnes. Cette présence permet à Pékin de surveiller la Corne de l’Afrique, de collecter des renseignements sur les activités militaires de la région et d’intercepter des communications stratégiques.
Endettement massif = dépendance accrue
Outre sa présence militaire, la Chine s’est rendue indispensable en finançant de nombreux projets à Djibouti : construction d’une ligne ferroviaire reliant la capitale à Addis-Abeba (Éthiopie), développement du réseau de télécommunications, édification d’un hôpital, d’un nouveau siège pour le ministère des Affaires étrangères, et création de la plus grande zone franche d’Afrique subsaharienne.
Cependant, cette aide a un coût élevé. Djibouti s’est lourdement endetté auprès de Pékin, avec des taux d’intérêt souvent onéreux. Les contrats prévoient que, si le pays ne peut rembourser, les investissements financés par la Chine deviennent sa propriété.
Un président sous influence
Malgré une répression sévère, des opposants au président de Djibouti Ismaïl Omar Guelleh, l’accusent de s’être mis dans les mains du régie de Pékin en acceptant notamment de fortes sommes d’argent remises en liquide directement au palais. Toutefois, face à l’influence croissante et spectaculaire des agents de Pékin, le pays a commencé à réagir. En 2018, les autorités djiboutiennes ont commencé à remettre en question certains projets chinois, notamment la construction de deux aéroports confiée à une entreprise chinoise. Le président de Djibouti a également refusé de céder le monopole des zones franches à la Chine, en invitant des partenaires indiens et émiratis.
Malgré ces efforts, le pays reste pris au piège. Début 2023, Djibouti a dû suspendre le remboursement de sa dette chinoise, qui représente 45 % de son PIB.
Sortir du piège ?
La stratégie chinoise, bien que puissante, pourrait se heurter à des difficultés croissantes. Plusieurs pays africains, dont Djibouti, tentent de sortir du piège de la dette, même si cela implique des tensions diplomatiques avec Pékin. Pendant ce temps, les puissances occidentales, comme la France et les États-Unis, surveillent attentivement la situation et n’envisagent pas, pour l’instant, de réduire leur présence militaire dans ce pays clé de la Corne de l’Afrique.
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