Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Élections en Algérie : en arrière toute !

publié le 12/09/2024 par grands-reporters

Vu d’Alger. Un score ahurissant, grossièrement manipulé, un président illégitime, des opposants marionnettes, une économie chaotique et des Algériens au-delà de l’écœurement… La présidentielle est un fiasco absolu.

Le président Abdelmadjid Tebboune est reconduit avec 94,65 % des voix exprimées. Un score ahurissant que le pays n’avait pas connu depuis la fin du parti unique. Plus stupéfiant encore, le communiqué des candidats, auxquels se joint… le vainqueur, contestant les résultats. Pourtant, cela ne choque pas les Algériens. Le pays n’a connu que deux élections crédibles : le référendum d’autodétermination en 1962 et les élections législatives de décembre 1991, annulées, qui auraient failli porter les islamistes du FIS au pouvoir.

Mais ce qui rend cette élection de 2024 particulière, c’est l’abstention record de près de 77 % que la commission électorale a tenté de dissimuler et qui a scellé l’illégitimité du régime. Ou 48,03 % selon le président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), qui avait donné une moyenne du taux de participation des 58 wilayas (départements). L’une des nombreuses supercheries du régime algérien à l’usage de l’opinion mondiale, sachant que de nombreuses wilayas du Sud ne comptent que quelques milliers d’électeurs, tandis que celles du Nord en comptent des millions.

La grossière manipulation des chiffres

Mais pourquoi aurait-il donc révélé en même temps le nombre de 5 630 196 votants ? Le rapport sur le nombre d’inscrits, qui est de 24 351 551 électeurs, permet vite de calculer le vrai taux de participation, selon ses propres chiffres. Certains y voient une résistance de l’état profond qui n’est pas acquis à Tebboune. D’autres attribuent cela à la débandade de l’establishment, dont les agents le considèrent affaibli et doutent de son avenir.

Simple ironie du destin ou manipulation des chiffres pour le tourner en dérision, comme son score « soviétique » qu’il conteste lui-même. Bien qu’il dénonce la forme, Tebboune avalise le fond et s’abstiendra de tout recours auprès de la cour constitutionnelle, contrairement à ses concurrents. Son directeur de campagne est d’ailleurs cosignataire du communiqué commun dénonçant « des irrégularités et contradictions dans les résultats annoncés ».

C’est rempli d’erreurs, c’est une catastrophe ! » (Le président de l’Autorité des élections )

Ces challengers « officiels » avaient été triés sur le volet pour représenter les trois tendances du paysage politique façonné sur mesure par le régime : nationalistes, islamistes et berbéristes. Abdelmadjid Tebboune, candidat du régime, pour les premiers ; Abdelali Hassani Cherif, du Mouvement de la société pour la paix (MSP), pour les seconds ; Youcef Aouchiche, du Front des forces socialistes (FFS), pour les derniers. Contestés dans leurs propres mouvements respectifs, ils manquent tous de charisme, garantissant ainsi aux marionnettistes du régime un contrôle total.

C’est lors d’une scène burlesque, le 25 juillet, que l’annonce des résultats a été faite par le président de l’Autorité nationale indépendante des élections. Écartant dix autres candidats pour n’avoir pas réuni les conditions, il s’était embourbé dans ses chiffres en pleine conférence de presse. Il annonçait des données qui accréditaient Saida Naghza, une femme d’affaires connue pour sa liberté de parole et ses critiques envers Tebboune, avant de se ressaisir et d’invectiver ses collaborateurs en direct : « C’est rempli d’erreurs, c’est une catastrophe ! ». Il se corrigea avec des chiffres revus à la baisse… excluant Naghza. Elle sera poursuivie, avec deux autres candidats, pour corruption, accusée par la police d’avoir acheté des signatures, même si ces dernières n’avaient pas atteint le quota nécessaire selon le décompte officiel.

Un président qui a perdu toute légitimité

« J’ai décidé de frapper fort en instituant une nouvelle politique et une nouvelle économie », déclarait le président réélu au début de son premier mandat. Les lois liberticides se sont enchaînées avec leur lot de prisonniers politiques. Les associations et partis semblent apathiques, dépourvus de toute expression discordante, quand ils ne sont pas interdits. La presse est réduite à relayer le discours officiel, sans marge d’initiative. Les quelques voix dissonantes se résument à des youtubeurs en exil, devenus « terroristes recherchés » sur la liste du journal officiel du pays.

La chaîne Al-Magharibya (la Maghrébine), propriété du fils d’Abbassi Madani, l’ex-président du FIS dissous, qui dénonçait le discours officiel, a vu sa diffusion interrompue par son hébergeur satellitaire à la fin du mois d’août dernier. Le blackout est total. De la politique, il ne reste rien. De ces élections, il ne demeure qu’une légitimité présidentielle historiquement au plus bas.

« Vous êtes un ami de l’humanité ! » (À Poutine)

L’économie algérienne repose presque exclusivement sur les hydrocarbures, qui représentent 90 % des exportations et 60 % des revenus fiscaux. Un embellissement temporaire dû à la guerre de Poutine en Ukraine, qui a fait monter les prix. « Vous êtes un ami de l’humanité », avait déclaré Tebboune à son homologue russe lors d’une visite.

En Chine, accompagné de son gouvernement, Tebboune signa un nombre incalculable d’accords, alors que la Chine est déjà le premier fournisseur de l’Algérie. La balance commerciale avec elle, tout comme avec la Russie, reste à sens unique : ces deux alliés historiques n’achètent presque rien à l’Algérie !

Le complotisme pour seule réponse

Dans le même temps, une propagande intense a été diffusée pendant plusieurs mois par les médias du pays : l’Algérie allait rejoindre les BRICS, qui seraient renommés BRICSA. Échec ! Six nouveaux pays ont été admis, mais pas l’Algérie. Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a déclaré : « Les BRICS sont une union dans laquelle le principe de coopération égale se manifeste dans les actes, pas dans les paroles ». Menacée sur ses frontières est et sud par les groupes Wagner, l’Algérie ne sait plus à quel allié se fier. Le pouvoir semble avoir pour seule vocation de se maintenir à tout prix, avec des répliques comme « L’Algérie est visée », sans que cela n’impressionne plus personne.

Le complotisme, comme seule réponse aux appétits des grandes et moyennes puissances, ne convainc plus personne. Le régime, incapable d’évoluer dans un monde en perpétuelle mutation, met en lumière sa propre fragilité et les dangers qui guettent le pays.

Djamel Hanonimm (*)

(*) Le nom de l’auteur a été changé par mesure de sécurité

 


Tous droits réservés "grands-reporters.com"