État du monde en état d’alerte
Les démocraties face aux régimes autoritaires
Des tensions dans tout l’hémisphère Nord, un droit international bafoué, et des démocraties apparemment inertes face aux régimes autoritaires…
Dans À une sérénité crispée, publié en 1951, recueil de notes et de réflexions diverses, René Char écrit : « Nous sommes, ce jour, plus près du sinistre que le tocsin lui-même. » Aujourd’hui, peut-être, ce poète, homme courageux et lucide, résistant, trouverait que nous ne voulons même pas entendre le tocsin. Pourtant, il sonne aux quatre coins de la planète. Il est, paraît-il, du plus mauvais goût historique de vouloir comparer la « montée des périls » des années 30 à la situation mondiale actuelle. Pourtant, les analogies ne manquent pas : succès grandissants des idéologies d’extrême droite, nationalisme exacerbé, visées impérialistes, course aux armements… Le tout accompagné d’une étrange pusillanimité des nations démocratiques et d’une totale impuissance des institutions garantes du droit international. L’ONU finira-t-elle comme la SDN, balayée par une guerre mondiale ? Les menaces sont en tout cas bien là, et elles s’affirment. En voici l’inquiétant inventaire.
Et si la démocratie américaine se suicidait ?
Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, ce qu’elle montre du rapport de la société américaine à la démocratie fait froid dans le dos. Deux camps irréconciliables et une fracture qui se transforme en faille sismique avec de vrais risques de cataclysme. Les menaces de contestation du résultat s’exacerbent, en particulier du côté du camp républicain. Les plus pessimistes imaginent des attaques multiples de capitoles dans plusieurs États où les démocrates gagneraient, répliques de celle survenue le 6 janvier 2021 à Washington. Les tensions internes au pays risquent d’affaiblir considérablement l’influence américaine dans le monde. Ses alliés risquent, tendances isolationnistes aidant, de ne plus pouvoir compter sur les États-Unis.
Et si la Russie gagnait la guerre en Ukraine ?
La victoire pourrait être totale ou partielle. Moscou pourrait se contenter des territoires acquis depuis février 2022 ou bien s’emparer d’une plus grande partie, voire de la totalité de l’Ukraine. Dans tous les cas, l’acceptation de cette prééminence de la force contre le droit ne serait pas sans conséquence sur l’influence de l’Occident dans le monde. Alors, se réveilleraient tous les appétits irrédentistes, non seulement ceux de la Russie, mais aussi ceux de la Chine. Les États de l’OTAN dotés d’une frontière avec la Russie augmenteraient encore leur effort de défense et réclameraient une rupture totale avec Moscou. Au grand dam de la Hongrie et de la Slovaquie, ouvertement pro-russes, mais aussi de l’Allemagne ou de l’Autriche, prêtes au compromis. L’Europe pourrait ainsi se fracturer.
Et si Israël attaquait l’Iran ?
Benjamin Netanyahou peut en rêver. Stopper le programme nucléaire iranien et mettre fin au régime des mollahs peut être tentant pour le chef du gouvernement israélien. Il estime déjà qu’il a ou qu’il va éliminer le Hamas et le Hezbollah. Mais une telle offensive, très probablement aérienne, quel que soit son succès, ne resterait pas sans conséquence. La Russie laisserait-elle son allié l’Iran, qui lui fournit des armes contre l’Ukraine, subir une défaite ? Pourrait-elle accepter que le régime des mollahs chute et soit remplacé par un système politique et institutionnel proche de l’Occident ? L’armée russe présente en Syrie recevrait-elle l’ordre de menacer Israël ? Les États-Unis ne pourraient pas l’admettre.
Et si la Corée du Nord mettait ses menaces à exécution ?
Kim Jong-un promet à son voisin du Sud et à son allié américain le pire des sorts. L’alliance passée avec la Russie le renforce. Le 30 octobre, l’essai d’un missile balistique de très haute performance a permis d’évaluer ses progrès en matière de vecteur. Désormais, il pourrait atteindre la côte californienne. Mais les États-Unis ont surtout réagi avec vigueur à l’envoi de troupes nord-coréennes en Russie, vers le front ukrainien. Leur engagement provoquerait un changement de nature du conflit. Même si l’alliance de Pyongyang avec Moscou déplaît à Pékin, les Chinois ne semblent pas pouvoir retenir les Nord-Coréens. Or, les Américains soutiennent sans réserve le Sud depuis la guerre de 1953 où ils se sont engagés militairement de manière très forte. Leur plus grande base militaire à l’étranger se trouve à 60 km au sud de Séoul. Kim Jong-un joue en permanence avec le feu.
Et si la Chine envahissait Taïwan ?
La course aux armements de la Chine est spectaculaire. Elle veut doubler sa capacité nucléaire pour la porter à terme à mille têtes. Sa flotte s’accroît tous les trois ans de l’équivalent de la flotte militaire française. Son agressivité en mer de Chine, et au-delà, est permanente : intimidation de navires croisant dans des eaux qu’elle revendique, îlots occupés indûment et transformés en bases militaires, etc. Elle multiplie autour de Taïwan les exercices pour montrer sa capacité à faire le siège de l’île, sinon à l’envahir. La puissance militaire chinoise inquiète. Mais l’Empire du Milieu ne va pas si bien. La croissance stagne à 4,6 %, les ventes au détail n’ont augmenté que de 2 %, et les investissements immobiliers ont baissé de près de 10 %. Plus grave encore, la démographie est catastrophique. En 2021, le taux de fécondité par femme dépassait à peine 1 %, soit à peine la moitié du taux de renouvellement de la population. Une Chine affaiblie économiquement n’en est que plus dangereuse. Une bonne dose de nationalisme aide à faire oublier les tracas économiques.
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