Les enfants migrants « en cage »
Dans des enclos métalliques, éclairage permanent, frigorifiés, sans soins, une nourriture avariée : des mineurs détenus en moyenne pendant 217 jours

Photo Jackie Speier (membre du Congrès américain)
Des enfants enfermés dans des cages grillagées. Une lumière allumée jour et nuit. Des soins refusés. Des nourrissons amaigris. Des adolescents terrorisés à l’idée de ne jamais revoir leurs parents. Cela ne se passe ni dans une dictature, ni dans un passé lointain, mais dans des centres de rétention pour migrants aux États-Unis.
« Il n’y avait pas d’eau propre. Des adultes se battaient avec nous pour boire. »
— Rosa, 11 ans
Sept ans après la vague d’indignation qui avait secoué l’opinion internationale, l’Associated Press révèle que des enfants continuent d’être enfermés dans des conditions inhumaines, parfois durant plusieurs mois, dans l’indifférence quasi totale. Pire : les protections juridiques qui encadraient ces pratiques sont menacées. Et la presse, elle, semble avoir regardé ailleurs.
Une décision de justice qui dénonce un système « piège »
Le 25 juin 2025, la juge fédérale Dabney Friedrich (Washington D.C.) a ordonné à l’Office of Refugee Resettlement (ORR) de réexaminer les dossiers de centaines d’enfants migrants enfermés depuis des mois dans des centres administratifs. En cause : des règles mises en place sous Donald Trump, obligeant les parrains (souvent des membres de la famille) à fournir des documents excessifs, voire des tests ADN, pour obtenir la libération des mineurs.
La juge dénonce un système « arbitraire et capricieux » qui « piège délibérément les enfants » dans une détention prolongée. Une adolescente dominicaine de 17 ans a passé 70 jours enfermée sans savoir quand elle sortirait. À la question de savoir quand elle serait libérée, un juge s’est contenté de répondre : « Pretty soon ».
En 2018, des inspecteurs ont recensé des centres surpeuplés, jusqu’à 300 enfants par cellule
Sous Trump, la durée moyenne de détention pour les enfants migrants était de 217 jours. Sous Biden, elle a chuté à 35 jours, mais les cas de rétention prolongée persistent. Des organisations comme RAICES ou Democracy Forward dénoncent une politique cruelle, où l’administration fédérale « dissuade » les parrains de venir chercher les enfants.
« Mon frère a hurlé pendant deux jours. Personne ne nous a aidés. »
— Camila, 9 ans
Le symbole des “cages” — ces enclos grillagés utilisés dans le centre Ursula à McAllen (Texas) — reste le plus connu. Mais il est loin d’être unique. En 2018, des inspecteurs ont recensé des centres surpeuplés, jusqu’à 300 enfants par cellule, sans brosse à dents, sans savon, parfois malades et livrés à eux-mêmes.
Un médecin, le Dr Dolly Lucio Sevier, a comparé les conditions à une forme de torture infantile : éclairage permanent, froid extrême, nourriture avariée, absence totale de soins médicaux. Dans certains cas, des bébés ont été hospitalisés en urgence après avoir perdu plusieurs kilos en détention. Un garçon de 12 ans, atteint d’une affection sanguine, voyait ses pieds enfler sans recevoir de soins.
Un traumatisme durable
Les conséquences ne sont pas seulement immédiates. Elles sont biologiques. Neurologiques. Incurables. Les psychiatres parlent de “stress toxique”, un terme clinique pour désigner un stress prolongé qui endommage le cerveau en développement.
« Ils m’ont dit que j’allais être adopté et que je ne reverrais jamais mes parents. »
— Diego, 13 ans
Selon une enquête des National Institutes of Health, près d’un tiers des enfants séparés de leurs familles développent un stress post-traumatique. Troubles du sommeil, cauchemars récurrents, anxiété chronique, difficultés de concentration, comportement violent ou apathique : les effets sont profonds, et souvent irréversibles.
Le rôle des médias : silence, oubli, responsabilité
En 2018, les images avaient choqué. Les “cages” avaient fait la une. Michelle Obama s’était insurgée. Des journalistes avaient pénétré dans quelques centres. Mais après quelques semaines, le silence est retombé. Depuis, peu d’enquêtes, peu d’accès accordé aux médias, aucune couverture continue. Le scandale se poursuit, mais dans l’ombre.
« C’est une torture invisible. Parce que la lumière médiatique s’est éteinte, le système peut continuer. »
— Avocat de RAICES
La fin de l’accord Flores ?
L’accord Flores, signé en 1997, encadre les conditions de détention des enfants migrants : durée limitée, conditions sanitaires minimales, accès aux soins. Il est aujourd’hui fragilisé. Une audience cruciale est prévue en juillet 2025 devant la juge Dolly Gee pour décider de son avenir.
Si cet accord est abrogé ou affaibli, les protections légales pour les mineurs disparaîtront, ouvrant la voie à une généralisation de la détention prolongée, sans obligation humanitaire.
Sans caméras, le scandale continue
Les enfants sont là. Derrière des grilles. Dans des hangars. Avec des traumatismes que personne ne soigne. Des blessures invisibles qui dureront. Ce ne sont pas des chiffres. Ce sont des enfants. Ce scandale n’est pas passé. Il est devenu discret.
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