États-Unis : les zéros sociaux en guerre contre la démocratie
Mark Zuckerberg, patron de Facebook, s’est désormais mis au service de Trump et de Musk pour sacrer la désinformation. Sans état d’âme
Les réseaux sociaux sont devenus le seul moyen d’information pour une grande partie de la population, bien que la majorité de ce qui est mis en ligne ne soit pas vérifiée. Facebook compte 2 milliards d’utilisateurs, dont 303 millions en Europe et 33 millions en France. Twitter recense 250 millions d’utilisateurs quotidiens, dont 11,5 millions en France. Parmi eux, 62 % ont moins de 34 ans. Les 400 000 abonnés internet du Monde ou les 9 500 de Libération – les ventes papier étant devenues confidentielles – représentent bien peu de choses par rapport à ces plateformes. C’est sur ces réseaux que les gens se rendent et croient ce qui y est écrit.
Le droit de dire tout et n’importe quoi
Jusqu’à présent, Twitter, comme TikTok (détenu par ByteDance, une entreprise chinoise proche du régime), était l’un des rares réseaux à s’affranchir ouvertement des règles de modération. Il ne cherchait pas à savoir si les messages échangés relevaient de la désinformation, du racisme ou de l’apologie de la violence. Twitter les publiait au nom de la liberté d’expression, c’est-à-dire en se référant au premier amendement de la Constitution américaine, qui permet de dire tout et n’importe quoi.
Avec le rachat par Elon Musk, le 23 novembre 2022, pour 44 milliards de dollars, et le licenciement de 6 000 employés sur les 7 500 qui vérifiaient que les messages échangés ne portaient atteinte à personne, Twitter – devenu X – a accueilli de faux comptes, la désinformation et les discours de haine. Elon Musk avait d’ailleurs donné le ton dès son arrivée, en demandant aux équipes de ne plus appliquer « le règlement concernant les informations trompeuses sur le Covid ».
Elon Musk et la domination des peuples
Anti-vaccin déclaré, hostile aux agences de santé et à l’aide médicale publique, Elon Musk fait partie de ces hommes qui considèrent qu’il est plus facile de dominer un peuple quand celui-ci vit dans l’inquiétude et le rejet du savoir. Et c’est tout naturellement qu’il ne recule devant aucune abjection quand il s’en prend à ses adversaires. Il a ainsi affirmé, le 8 janvier sur son réseau, que George Soros, qui venait de recevoir la médaille de la Liberté des mains de Joe Biden, avait « collaboré avec les nazis quand il était adolescent » et qu’il « finançait le Hamas ». Ces affirmations sont bien évidemment totalement fausses, mais cela n’a pas d’importance, car il trouvera toujours des personnes pour y croire.
Ce dévoiement ne lui a pas tant réussi puisque X est devenu de moins en moins fréquentable. Ses recettes publicitaires sont passées de 5,1 milliards de dollars à 2,9 milliards en 2024, selon Statista, et un concurrent, Bluesky, véritable alternative où se précipitent tous les médias sérieux, commence progressivement à se substituer à X.
L’élection de Donald Trump a changé la donne
Dans ce contexte où Elon Musk perd son pari, l’élection de Donald Trump change la donne. Cela ne permettra pas de sauver financièrement X, qui continuera à pratiquer, pour le compte du nouveau pouvoir, une propagande scélérate, mais lui apportera le soutien de l’État fédéral dont il est devenu le conseiller. Ce soutien lui permettra de développer Tesla, sa voiture autonome, et de vendre ses fusées à la NASA. Faut-il rappeler que le conflit d’intérêts n’existe pas dans l’administration Trump ?
Comprenant lui aussi tout le parti qu’il pourrait tirer de Donald Trump, prêt à tout pour aider une entreprise qui veut, comme lui, déconstruire l’État fédéral, Mark Zuckerberg, propriétaire de Facebook et d’Instagram à travers Meta, a décidé de suivre la voie d’Elon Musk en ouvrant ses réseaux à la désinformation. Son intervention vidéo du 6 janvier mérite que l’on s’y attarde tant elle regorge de mensonges, d’atteintes aux libertés et d’agressions envers l’Union européenne.
Mark Zuckerberg, Facebook, au service de la désinformation
« Il y a eu d’abondants débats sur les effets négatifs des contenus numériques », estime Mark Zuckerberg. « Les gouvernements et les médias traditionnels ont poussé en faveur de toujours plus de censure. Une grande partie de tout cela a clairement une motivation politique. Après la première élection de Trump en 2016, les médias traditionnels n’ont cessé de présenter la misinformation (la désinformation) comme une menace pour la démocratie. » Ces médias, ce sont les journaux comme le New York Times, le Los Angeles Times ou The Guardian.
Avec une outrance qu’on ne lui connaissait pas, le propriétaire de Facebook reprend à son compte le discours populiste de Donald Trump et d’Elon Musk qui vilipendent la presse ou les télévisions indépendantes. Faut-il rappeler que les journalistes chargés de suivre la campagne de Trump étaient cantonnés, à chaque meeting du candidat, dans un espace clos où ils se faisaient systématiquement huer à l’invitation de Donald Trump ?
« Nous allons laisser passer davantage de mauvaises choses »
Enfonçant le clou, Mark Zuckerberg annonce qu’il va « drastiquement simplifier les principes de régulation et éliminer différentes restrictions sur tout ce qui a trait aux contenus relatifs à l’immigration ou au genre, qui sont simplement sans rapport avec le discours mainstream. Nous allons également durcir les principes qui peuvent nous conduire à supprimer un contenu, même si cela signifie que nous allons laisser passer davantage de mauvaises choses. » Tout est dit.
Visant délibérément l’Union européenne, Mark Zuckerberg conclut : « Nous allons travailler avec le président Trump pour lutter contre la pression des gouvernements qui s’en prennent aux entreprises américaines et qui les censurent toujours plus. Les États-Unis ont les plus robustes dispositions constitutionnelles au monde pour garantir la liberté d’expression. De son côté, l’Europe a toujours plus de lois institutionnalisant la censure et rendant plus difficile le développement de l’innovation. »
Accuser le Vieux Continent d’institutionnaliser la censure tourne au ridicule si l’on sait que l’indépendance éditoriale et le pluralisme des médias font désormais partie du règlement européen. Pour Mark Zuckerberg, aucune outrance n’est de trop quand il faut s’attaquer au Digital Service Act européen (DSA), la directive qui restreint le nombre de contenus illégaux diffusés par les plateformes en Europe et invite celles-ci à plus de transparence. Faut-il sourire ou pleurer quand Mark Zuckerberg affirme que « les pays latino-américains ont mis en place des cours de justice secrètes permettant de museler ce que bon leur semble » ?
« Facebook a exploité les données personnelles pour saboter la démocratie ».
Toute cette séquence serait risible si Facebook n’avait déjà porté atteinte au fonctionnement des démocraties en faussant, d’une part, le référendum sur le Brexit et, de l’autre, en favorisant l’élection de Donald Trump en 2016. Cambridge Analytica, une société britannique fondée par Steve Bannon, conseiller de Trump, a exploité, il y a une dizaine d’années, les données de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook pour favoriser le Brexit.
De fausses informations concernant l’immigration ou le système de santé britannique, qui aurait été prétendument pénalisé par l’Union européenne, avaient été mises en ligne sous des faux comptes démultipliés. La même opération a été renouvelée lors de la première élection de Donald Trump. Antonio Tajani, président du Parlement européen, avait déclaré en 2018, quand le New York Times et The Guardian avaient révélé l’affaire, que « Facebook a exploité les données personnelles pour saboter la démocratie ».
Quelque chose a cependant changé depuis cette époque. Facebook reste disposé à saboter la démocratie, mais elle le fait désormais au grand jour.
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