Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Europe : comment se débarrasser de Viktor Orbán ?

publié le 24/04/2025 par Pierre Feydel

Impossible d’exclure la Hongrie de l’UE. On peut juste la priver de droit de vote. À moins qu’aux législatives de 2026, le peuple hongrois décide cette fois d’en finir avec Orbán…

Un trublion de l’Union

C’est peu dire que le Premier ministre hongrois agace ses partenaires de l’Union européenne. Sa complaisance affichée, sinon sa soumission à la politique étrangère de la Russie, sa proximité avec Donald Trump, exaspèrent. Ces deux leaders, parrains de toutes les extrêmes-droites européennes, ne rêvent que de faire exploser les institutions européennes pour partager le continent en deux zones d’influence : l’une pro-américaine à l’Ouest, l’autre pro-russe à l’Est, recouvrant les pays autrefois dans l’orbite soviétique.

Ce projet funeste paraît avoir un allié au sein de l’UE : le gouvernement hongrois, sans compter une « 5ᵉ colonne » qui réunit les partis d’extrême-droite sévissant dans divers pays. Donc, Viktor Orbán fait figure de traître, bien qu’il passe son temps à expliquer qu’il ne veut pas la mort de l’UE, mais sa mutation en une sorte d’Europe des nations, non soumise aux « diktats » de la Commission. Air connu.

Une dérive autoritaire assumée

Le leader du Fidesz a d’ailleurs donné des gages à l’idéologie illibérale en mettant en place dans son pays un régime autoritaire. En 2011, il a fait adopter une nouvelle Constitution faisant référence aux racines chrétiennes du pays, qui consacre le mariage entre un homme et une femme et précise que la vie doit être protégée dès son commencement — histoire d’interdire l’avortement.

Puis, le droit de grève a été supprimé, tout comme l’idée du salaire égal à travail égal. Les pouvoirs de la Cour constitutionnelle ont été réduits, tout comme l’indépendance de la Banque centrale. Partout, Orbán a nommé ses affidés. Les « sans-abri » sont poursuivis, les Tsiganes parqués, les pouvoirs de l’armée et de la police à l’égard des migrants renforcés. Les demandeurs d’asile sont relégués dans des conteneurs. Les réglementations anti-LGBT se sont multipliées.

« La Hongrie est un véritable problème systémique, pour la Commission, en matière d’État de droit.»

Didier Reynders, commissaire européen à la justice

Médias verrouillés, justice inféodée

Aujourd’hui, le pouvoir contrôle la plupart des médias, la justice est passablement à ses ordres, l’université sous surveillance. Poutine l’a fait, Trump en rêve. De quoi provoquer de vives réactions au sein de l’UE. Des voix s’élèvent pour réclamer l’expulsion de la Hongrie, d’autres pour lui retirer son droit de vote. D’autant qu’Orbán refuse systématiquement de voter les aides à l’Ukraine ou son adhésion à l’UE, et fait systématiquement le jeu de la Russie, dont il continue d’acheter le gaz. Au moment où il s’agirait de voter un 17ᵉ train de sanctions contre Moscou, le Premier ministre hongrois, qui a quand même voté les 16 précédents, essaie de faire monter les enchères. Car il sait qu’on ne peut l’exclure.

L’article 7: une arme limitée

L’article 7 du traité de l’UE est la seule arme possible pour sanctionner un État en cas de violation grave et persistante des valeurs fondamentales de l’Union. On procède en deux étapes :

  1. Le constat de la violation des valeurs — ce qui est déjà arrivé en 2018.
  2. Puis, le constat formel de cette violation « grave et persistante » avec un vote à l’unanimité des États membres.

Enfin, tombe la sanction : la suspension du droit de vote au Conseil. Pas d’exclusion à la clé.

L’hypothèse de la création d’une Europe à deux vitesses avec un noyau dur, sans les États qui posent problème, réclamerait une révision des traités, nécessitant la règle de l’unanimité. La solution pourrait être que la Hongrie en parte d’elle-même. Mais 85 % des Hongrois souhaitent, selon les derniers sondages, rester dans l’Union. Et Orbán le sait. Comme il sait qu’il a besoin de la manne financière de l’UE pour soutenir son économie. Or, en janvier, il a perdu un milliard d’euros de fonds européens à cause de la violation des principes de l’État de droit dans son pays. 19 autres milliards sont pour le moment bloqués.

« Si le dialogue ne fonctionne pas … nous bloquerons des fonds destinés à Budapest. »
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.— Juillet 2024.

Un chantage permanent

La Commission doute visiblement de l’utilisation de ces sommes par un État qui refuse de se conformer aux dispositions européennes en matière d’indépendance de la justice, de lutte contre la corruption ou de respect des droits des minorités. Orbán peut se livrer à ses chantages habituels : vous levez les blocages, et je vote les sanctions contre la Russie. Mais il semble que les instances de l’UE en aient assez de ses marchandages douteux qui l’obligent à trahir ses valeurs fondatrices.

Un tournant en 2026 ?

Donc, le blocage risque de durer jusqu’aux prochaines élections législatives en Hongrie, au printemps 2026. D’autant que cette fois, ce serait le peuple hongrois qui pourrait débarrasser l’Europe de Viktor Orbán. Cette fois, il a un opposant : Péter Magyar, un haut fonctionnaire devenu avocat. Un homme neuf qui ne traîne pas les échecs des anciennes oppositions. Selon les dernières enquêtes, son parti serait en tête avec 7 points d’avance.

Économie fragile, colère sociale

Et la situation économique n’est pas bonne, ce qui renforce le mécontentement. La crise inflationniste s’est calmée, mais elle culminait à +17 % en 2023. Le déficit budgétaire atteint 5,4 %, ce qui rend plus difficile pour Orbán ses cadeaux électoraux habituels avant le scrutin.

Le Premier ministre a quand même tripatouillé la carte électorale. Les élections sont encore loin. Péter Magyar promet de lutter contre la corruption, mais surtout, il assure qu’il mettra fin à l’isolement de la Hongrie au sein de l’UE.


Denes Erdos/Copyright 2024 The AP.

Péter Magyar, l’homme qui fait trembler Orbán

À 43 ans, Péter Magyar est en passe de devenir l’adversaire le plus redoutable qu’ait connu Viktor Orbán depuis son retour au pouvoir en 2010. Ancien haut fonctionnaire au ministère de la Justice et avocat de formation, il connaît les rouages de l’État hongrois sur le bout des doigts.

Son visage est inconnu du grand public jusqu’à ce qu’il claque la porte du pouvoir en dénonçant publiquement les dérives autoritaires du Fidesz. Son divorce avec Judit Varga, ancienne ministre de la Justice et figure du régime, a précipité sa rupture politique. Depuis, il sillonne le pays, multiplie les réunions publiques et les vidéos virales sur les réseaux sociaux, dénonçant la corruption et le népotisme.

Le mouvement qu’il a lancé, « Respect et Liberté » (Tisztelet és Szabadság), séduit bien au-delà des cercles libéraux. Il attire les jeunes urbains lassés de l’autoritarisme, mais aussi une frange de l’électorat provincial fatiguée du clientélisme d’État. Magyar se pose en réformateur modéré, pro-européen, soucieux de restaurer l’indépendance de la justice, de garantir la liberté des médias, et de replacer la Hongrie au cœur du projet européen.

Selon les derniers sondages (Medián, avril 2025), son parti devancerait le Fidesz de sept points, un écart inédit. Mais la prudence reste de mise : le système électoral hongrois, remodelé par Orbán, favorise outrageusement le parti au pouvoir, même en cas de minorité en voix.

Magyar reste cependant le premier opposant crédible depuis longtemps. Son combat pourrait bien être le tournant qu’attend Bruxelles. Mais en Hongrie, rien n’est jamais acquis d’avance.


Tous droits réservés "grands-reporters.com"