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France-Algérie : la répudiation

publié le 26/02/2025 par grands-reporters

Déclarations hostiles, contentieux marocain, affaire Sansal, désengagement économique, virage diplomatique …le divorce entre Paris et Alger semble irrévocable

Des relations explosives

Il y a bel et bien un « syndrome franco-algérien », illustré par les déclarations incendiaires des responsables politiques des deux pays. Lors de sa première campagne présidentielle, Macron avait suscité un espoir de réconciliation en Algérie en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité ». Mais ses tentatives de rapprochement se sont heurtées aux extrémistes des deux bords.

Sur ce terrain miné, Macron a eu l’outrecuidance de dénoncer un secret de Polichinelle : le régime politico-militaire qui gouverne l’Algérie. Un affront pour les généraux au pouvoir et une opportunité pour les extrémistes du « national-islamisme » algérien d’alimenter la surenchère. Malgré ses relances, Macron a dû se rendre à l’évidence : l’échec est patent.

Rapprochement français avec le Maroc: la « faute »

Face au déclin d’un système algérien autoritaire et en perte d’influence, Macron a franchi le Rubicon en se rapprochant du Maroc, ennemi déclaré d’Alger. En reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, il a brisé tout espoir de réconciliation avec l’Algérie. Dans ce contexte, l’écrivain Boualem Sansal a été arrêté en Algérie après avoir déclaré que l’Ouest algérien était historiquement marocain. Il est devenu un symbole de la guerre froide franco-algérienne : célébré en France comme un défenseur de la liberté, considéré comme un traître en Algérie. Son âge avancé et son état de santé préoccupent d’autant plus qu’il a entamé une grève de la faim.

Alger regarde vers l’Espagne

Macron a ignoré l’invitation d’Abdelmadjid Tebboune, formulée dans L’Opinion, à intervenir pour apaiser les tensions. À la place, son ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a durci le ton, dans la lignée d’Éric Ciotti, faisant de l’Algérien l’ennemi public numéro un. L’attaque au couteau d’un Algérien sans papiers à Mulhouse est venue renforcer ce discours sécuritaire.

De son côté, l’Algérie revoit totalement sa stratégie diplomatique. Après une longue rupture avec l’Espagne due à la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par Pedro Sánchez, elle vient de rétablir un partenariat privilégié avec Madrid. Parallèlement, l’Italie de Giorgia Meloni a supplanté la France dans les échanges commerciaux avec Alger, accentuant le désengagement économique franco-algérien. Le climat international influence aussi la posture algérienne. L’ère Trump n’a pas laissé Alger indifférent. Malgré ses positions controversées sur le conflit israélo-palestinien, l’Algérie a mis en veille sa ferveur traditionnelle pour la cause palestinienne et a signé un protocole d’accord avec l’état-major américain.

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami »

Sur le terrain africain, Tebboune s’est déplacé en personne au sommet de l’Union africaine en février pour garantir l’élection de sa candidate à la vice-présidence face à une concurrente marocaine. Mieux encore, le général Mohamed Amaga Dolo, ancien directeur de cabinet du chef de la junte malienne, a été nommé ambassadeur à Alger. L’Algérie, qui avait initialement condamné le coup d’État malien, a depuis tourné la page. L’adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » s’applique ici à merveille.

Algérie-Maroc : la guerre énergétique

L’Algérie a signé, le 11 février dernier, un accord avec le Nigeria et le Niger pour construire un gazoduc transsaharien, mettant un terme au projet concurrent du Maroc visant à relier le Nigeria à l’Europe via la côte ouest-africaine. L’expertise et la puissance financière algériennes ont fait la différence. Dans ce contexte, les régimes militaires africains exploitent le ressentiment anti-français pour asseoir leur légitimité. Alger se positionne désormais en fer de lance du panafricanisme anti-néocolonialiste. Avec son soutien, l’Union africaine a adopté, le 15 février, une résolution criminalisant le colonialisme et exigeant des réparations.

Un divorce consommé

La France, affaiblie sur la scène internationale, en crise intérieure et en perte d’influence en Afrique, semble plus isolée que jamais. Incapable de faire avancer l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ou d’exiger la libération de Boualem Sansal dans ses négociations avec Alger, elle perd de son poids diplomatique.

Dans cette bataille où chaque mot compte, le repositionnement algérien scelle une rupture définitive. Trop de paroles blessantes ont été échangées, trop d’occasions manquées pour désamorcer la crise. Comme dans la tradition musulmane où un simple mot peut suffire à briser un mariage, le divorce franco-algérien est désormais irrévocable, même si, dans un silence assourdissant, il n’a pas été officiellement proclamé.

Issam Nazari


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