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François, pape jusqu’au dernier souffle…

publié le 21/04/2025 par grands-reporters

La veille encore, il prenait un bain de foule sur la place Saint-Pierre. Souvent réformiste, parfois catholique inflexible, proche des hommes, fort et fragile à la fois, son pontificat a été marqué par l’émotion

Il est difficile de ne pas céder à l’émotion en parlant du pape François, au moment d’apprendre l’information de sa mort. En effet, François rime avec « émotion ». Pendant les douze ans de son pontificat, François a su, d’une façon extraordinaire, provoquer les émotions d’autrui en les modelant sur les siennes. Persuadé que la forme fait partie de la substance, il a cultivé les symboles qui lui étaient les plus chers. Le jésuite cardinal Bergoglio l’a fait à partir du premier jour de son pontificat, quand il s’est donné (« sibi nomen imposuit ») le nom du fondateur de l’ordre des Franciscains, qui glorifie la pauvreté. Au même moment, il a choisi de ne pas vivre, comme ses prédécesseurs, au « Palazzo Apostolico », splendide et débordant d’histoire, mais de loger dans l’accueillante normalité vaticane de la Domus Sanctae Marthae.

Engagement en faveur des plus faibles

Émotions et symboles ont été, du point de vue du pape François, les pigeons voyageurs transportant les messages bien concrets de sa stratégie du changement. On l’a bien vu, toujours aux premiers jours de son pontificat, par le choix de visiter l’île italienne de Lampedusa, où les migrants arrivent de façon dramatique après avoir traversé une bonne partie du continent africain.

« Mais si j’y pense, je revois la mer »

Voilà des éléments clairs et constants des douze ans du pontificat du pape François : émotions, simplicité dans les relations humaines et engagement du côté des plus faibles, et en premier lieu du côté des migrants. Les migrations sont une histoire de famille pour Jorge Mario Bergoglio, né en 1936 à Buenos Aires d’un couple originaire du Piémont et de la Ligurie, d’où les personnes en quête de travail et de nouvelles opportunités partaient nombreuses, à dos de cheval, entre le XIXe et le XXe siècle. Elles partaient pour l’Amérique du Sud et en particulier pour l’Argentine. « Ma se ghe penso alôa mi véddo o mâ » (« Mais si j’y pense, je revois la mer ») est la phrase la plus connue de la plus célèbre chanson en dialecte (mieux dire langue) de la Ligurie : la mer, l’océan, le départ, l’émigration.

L’anticonformiste

Fidèle à son style (qu’on pourrait considérer comme une « gestion de l’anticonformisme » et même de la provocation), François a fait de la question migratoire le fer de lance du défi à un ordre politique incapable, à son avis, d’accueillir la misère du monde. La logique, morale bien plus que proprement politique, du pape François a été celle d’opposer la « mondialisation des pauvres » à la « mondialisation des riches ». Un message simple et extrêmement efficace, qui l’a amené à critiquer sans modération le comportement des pays occidentaux, indépendamment de la couleur de leur gouvernement. L’un des mots fondamentaux de la pensée de François a été « misericordia », mot qu’en italien il prononçait avec une emphase particulière. Sur le terrain de la « miséricorde », la question migratoire a été pour lui l’une des raisons pour passer des paroles aux faits. C’était son appel aux gouvernants. François a souvent saisi l’occasion d’informations dramatiques (comme les naufrages des migrants ou la tension aux frontières internationales) pour lancer des messages moraux, qu’à son avis les autres (les gouvernants) auraient dû transformer en programmes de gouvernement concrets et articulés.

Résolument pour la paix et le désarmement

L’autre cheval de bataille « moral-politique » du pape François a été l’engagement pour la paix et le désarmement. Une fois de plus, le message de François est clair : l’esprit de la paix et la bonne volonté en faveur de la paix ne sont pas le maquillage des compromis entre les Nations, mais la base pour arriver à des compromis à la saveur de la justice. Paix en Terre aux hommes de bonne volonté. Si on ne comprend pas la valeur de la bonne volonté, on n’ira pas loin.

« Pourquoi une femme ne peut-elle pas devenir prêtre ? »

La personnalité du pape François a été tellement forte qu’on risque de mettre presque au second plan son rôle, manifestement fondamental, dans le milieu proprement religieux. Je ne sais pas si Jean Guitton pensait à Bergoglio quand (il y a une trentaine d’années) il m’a dit qu’à son avis « le prochain pape sera Argentin ». Il n’a pas été immédiatement le prochain, mais il y a bien eu un Argentin à la tête de l’Église. C’est un signe évident d’ouverture du christianisme à d’autres horizons. Encore faut-il relever des défis qui, pour la religion catholique, demeurent presque révolutionnaires. La question des abus sexuels, au sujet de laquelle le pape François a eu le courage de faire bouger les lignes, peut difficilement être déconnectée de celle du célibat ecclésiastique. Et encore. La question des femmes dans l’Église, au sujet de laquelle le pape François a pris des décisions significatives, peut bien difficilement être traitée sans répondre, un jour ou l’autre, à la très simple question : « Pourquoi une femme ne peut-elle pas devenir prêtre ? ».

Tolérant sur l’homosexualité mais inflexible sur l’avortement

Le pontificat du pape François a coïncidé avec des nouveautés et des réformes importantes sur le terrain de la vie personnelle des croyants, par exemple par rapport à l’homosexualité. Mais François a été inflexible dans la condamnation de tout ce qui rime avec avortement. L’Église se mondialise, mais elle a aussi la tâche de répondre aux questions et aux contradictions venant de sa propre histoire.

Par Alberto Toscano (*)

(*) Journaliste et écrivain italien, résidant en France depuis 1986 et collaborant à plusieurs média italiens et français, il a été chercheur à l’Institulo per gli Studi di Politica internazionale de Milan (ISPI, équivalent italien de l’IFRI), et rédacteur à l’hebdomadaire de l’ISPI Relazioni Internazionali de 1975 à 1982. On lui doit plusieurs livres sur l’Inde (1982), la Chine (1982) et le Tiers Monde (1976).


François le réformiste

Jorge Mario Bergoglio, né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires (Argentine), fut le 266e pape de l’Église catholique romaine. Il a été élu le 13 mars 2013, devenant le premier pape sud-américain de l’histoire.

Jésuite, il entre au séminaire de son diocèse avant de rejoindre la Compagnie de Jésus. Ordonné prêtre en 1969, il devient provincial des jésuites d’Argentine en 1973. En 1992, Jean-Paul II le nomme évêque auxiliaire de Buenos Aires. Il devient archevêque en 1998 et cardinal en 2001.

Après la renonciation de Benoît XVI, il est élu pape au terme d’un conclave de deux jours.

Un pontificat marqué par l’action sociale et la réforme

En choisissant le nom de François, il inscrit son pontificat dans la lignée de saint François d’Assise, avec une priorité claire : l’Église des pauvres et des périphéries. Dès ses débuts, il engage une réforme de la Curie romaine, dénonçant les dérives de gouvernance du Vatican. Il rompt avec certains symboles du pouvoir pontifical : soutane simple, logement à la résidence Sainte-Marthe, distance avec les fastes du Vatican.

Engagements forts : migrants, écologie, synodalité

Il plaide pour les migrants, dénonçant régulièrement les naufrages en Méditerranée, qualifiée de « cimetière ». En 2020, il publie Fratelli Tutti, une encyclique sur la fraternité humaine, qu’il évoque encore lors de sa visite à Marseille en 2023. Sur l’environnement, il publie en 2015 Laudato Si’, un texte fondateur de son pontificat, qui fait de l’écologie intégrale un axe majeur de son action.Il s’engage aussi dans le dialogue œcuménique et interreligieux, notamment en signant en 2019 une déclaration historique avec l’imam d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayyeb.

Réformes contestées et tensions internes

Son orientation pastorale suscite des critiques au sein même de l’Église, notamment chez les conservateurs. En témoignent :

  • Fiducia supplicans (2023), ouvrant la voie à des bénédictions de couples de même sexe,
  • Amoris Laetitia (2016), sur la communion des divorcés remariés,
  • Traditionis Custodes (2021), restreignant la messe tridentine.

En 2021, il lance le Synode sur la synodalité, réunissant évêques, laïcs et théologiens autour de questions de gouvernance, de rôle des femmes et de réformes structurelles.

En octobre 2024, il publie une dernière encyclique : Dilexit nos, dédiée au Sacré-Cœur.

Déclin physique, hospitalisations et mort

À 88 ans, la santé du pape François devient préoccupante. Hospitalisé à Rome le 14 février 2025 pour une pneumonie bilatérale, il traverse plusieurs crises respiratoires aiguës. Placé sous ventilation mécanique, son état se stabilise progressivement. Le 5 mars, il célèbre le mercredi des Cendres depuis sa chambre d’hôpital. Le 16 mars, une photo de lui concélébrant la messe à l’hôpital Gemelli est publiée. Le 14 mars, il sort de l’hôpital pour poursuivre sa convalescence à Sainte-Marthe.

Le pape François meurt à Rome le 21 avril 2025, à l’âge de 88 ans. Conformément à son souhait, il sera inhumé dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, hors du Vatican.


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