Haïti pris en étau entre gangs et chaos humanitaire
La violence des gangs s’étend au-delà de Port-au-Prince, le nombre de déplacés atteint 1,3 million, sommet historique. Et le pays entre dans la saison des ouragans

1,3 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays, un record
Haïti franchit un nouveau seuil dans la spirale de la violence et de l’effondrement humanitaire. Près de 1,3 million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, un record, a annoncé mercredi l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). En six mois, ce chiffre a bondi de 24 %, un indicateur alarmant du chaos grandissant provoqué par les groupes armés.
« Cette hausse représente le plus grand nombre de personnes déplacées par la violence jamais enregistré en Haïti », précise l’agence onusienne. Port-au-Prince reste l’épicentre de la crise, mais les violences s’étendent désormais aux régions du Centre et de l’Artibonite.
« Des familles piégées dans un cycle de peur »
Derrière les chiffres, des vies brisées. « Des enfants, des mères, des personnes âgées ont été arrachés à leur foyer, souvent à plusieurs reprises, sans rien, et survivent dans des conditions qui ne sont ni sûres ni durables », alerte Amy Pope, directrice générale de l’OIM. Dans le département du Centre, les affrontements dans des villes comme Mirebalais ou Saut-d’Eau ont fait bondir le nombre de déplacés de 68.000 à 147.000 en quelques mois. Dans l’Artibonite, plus de 92.000 personnes ont été contraintes à l’exil.
Les sites spontanés de regroupement se multiplient : 246 recensés aujourd’hui, contre 142 en décembre. Le département du Centre, jusqu’ici épargné, en compte désormais 85. Et 83 % des déplacés trouvent refuge chez des familles d’accueil, accentuant la pression sur des foyers déjà précaires.
L’ONU alerte
Ces chiffres ont été rendus publics en amont d’une réunion d’urgence à New York, organisée par l’ECOSOC et la Commission de consolidation de la paix sur le thème : « Construire et pérenniser la paix en Haïti ». Le président de l’ECOSOC, Bob Rae, a qualifié la situation haïtienne de « crise existentielle ».
La Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, María Isabel Salvador, a rappelé la complexité de la crise : « Aucun remède unique ne suffira. La réponse doit combiner sécurité, aide humanitaire, reconstruction politique et consolidation de la paix.»
Haïti sans défenses face aux ouragans
Cette vague de déplacements survient alors que le pays entre dans la saison des ouragans. Et pour la première fois, le Programme alimentaire mondial (PAM) ne dispose ni de stocks d’urgence ni des financements nécessaires à une réponse rapide. Jusqu’à récemment, l’agence pouvait venir en aide à 250.000 à 500.000 personnes dès les premières heures d’une catastrophe climatique. Aujourd’hui, l’absence de réserves et de fonds laisse des millions d’Haïtiens sans protection.
Selon l’ONU, 5,7 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire, dont 2,1 millions dans une situation d’urgence. Haïti figure parmi les cinq pays les plus menacés par la famine. Pourtant, le plan de réponse humanitaire 2025, évalué à 908 millions de dollars, n’est financé qu’à hauteur de 8 %, avec seulement 75 millions reçus.
85 % de la capitale est aux mains des gangs
« La résilience du peuple haïtien est remarquable, mais elle ne peut être son seul refuge. Cette crise ne doit pas devenir la nouvelle normalité », avertit Amy Pope. Dans un pays où 85 % de la capitale est aux mains des gangs, où l’État recule et où l’aide internationale peine à se mobiliser, l’urgence est totale. La communauté internationale est désormais sommée d’agir, avant qu’Haïti ne sombre définitivement dans l’oubli.
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