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Histoire de l’OAS

publié le 07/04/2007 | par Jean-Paul Mari

SPECIAL ANNIVERSAIRE ALGERIE.

A l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance, Grands-Reporters.com remet en ligne toute une série de reportages consacrés à l’Algérie ces dernières années.


– Nouvel Observateur : « « Dix-huit ans séparent cet ouvrage du précédent consacré à l’OAS. Que sait-on de nouveau ?
– Rémy Kaufer : Beaucoup de choses. La guerre d’Algérie est une série de guerres civiles. Côté algérien, elle met en jeu les partisans du FLN contre ceux du MNA de Messali Hadj ; les algériens pro-français contre les nationalistes, les Kabyles contre les Arabes, voire les « frères » du FLN entre eux. Quant à la guerre franco-française qui implique l’OAS, elle a fait plus de 2000 morts. En analysant ses origines, on comprend mieux l’engrenage de la violence dont l’OAS est la « dent ultime ».
– N-O : Parce que l’OAS n’est pas née, par génération spontanée, après le putsch des généraux de 1961…
– R.K : Non, bien sûr ! Elle était déjà en germe dans les groupes contre-terroristes mis sur orbite par l’armée française, dès 1956, pour lutter contre le terrorisme très meurtrier du FLN. On commence par s’attaquer à des gens considérés comme pro-FLN pour aboutir au terrorisme aveugle quand l’ORAF, Organisation de la Résistance de l’Algérie française, fait exploser une bombe qui fait soixante morts, rue de Thèbes, au cœur de la Casbah d’Alger. Puis, en janvier 1957, un commando tire au bazooka contre le bureau du général Salan, commandant en chef interarmes, jugé « trop mou ». L’attentat manque Salan mais tue son adjoint assis dans son fauteuil. Ce même général Salan deviendra en 1961… le chef de l’OAS.
– N-O : La réaction des autorités à cet attentat est plutôt mitigée…
– R.K : Un sérieux coup de balai donne un coup d’arrêt provisoire à ces groupes. Mais l’enquête n’ose pas remonter pas très haut où il est probable qu’on aurait trouvé des gaullistes qui veulent le retour officiel aux affaires de De Gaulle, retiré à Colombey. Des militaires sont mutés, d’autres les remplacent et les groupes continuent leurs activités mais de manière moins voyante. – N-O : Nouvelle tentative : le putch des généraux en avril 1961..
– R.K : Et nouvel échec. Une partie de l’armée avec Salan essaie cette fois de contraindre le Général à renoncer à sa politique d’autodétermination. On connaît la suite. Certains s’enfuient, d’autres sont arrêtés, d’autres passent à la clandestinité, bénéficient de l’infrastructure militaire et prennent la tête d’un petit groupe d’activistes pieds-noirs : l’OAS est née. La formation, très hétéroclite, regroupe des anciens communistes de « Bab-El-Oued la rouge », anciens républicains espagnols qui n’ont pas oublié les atrocités des maures de Franco ; un chef célèbres commandos Action « Deltas », ancien résistant et membre des FTP ; d’autres officiers dont certains ont été torturés et déportés par les Allemands ; des gaullistes déçus, des pieds-noirs désespérés, des monarchistes Maurrassiens et des hommes comme Soustelle ! On a même découvert qu’il y avait une autre composante, notamment à Oran, « L’OAS Juive. »
– N-O : Qui fait suite à une campagne du FLN contre les juifs d’Algérie ?
– R.K : Exactement. Cela commence par l’assassinat, à l’été 61, du cheikh Raymond Leiris, le beau-père d’Enrico Macias, un homme très apprécié dans la communauté algérienne. Depuis 1870 et le décret Crémieux, les juifs autochtones sont Français. Ils représentent 140 000 personnes, près de quinze pour cent des Pieds-noirs. Et le FLN a décidé qu’ils devaient quitter l’Algérie. Pourtant, certains intellectuels juifs, comme Henri Alleg, ont pris fait et cause pour les nationalistes. Il n’empêche, c’est le début d’une campagne d’assassinats. On tue un petit coiffeur d’Oran et le préfet de la ville signale qu’on chasse les israélites de leur quartier. Du coup, les juifs oublient l’antisémitisme éruptif de certains groupes OAS qui arborent la croix celtique et décident de résister à la menace FLN. A Oran, les commandos « Delta » sont divisés en « Commandos Colline » dont l’un est entièrement composé de militants juifs. Ils tuent certains élus musulmans, essaient de mettre le feu à une prison où sont détenus des hommes du FLN et abattent des officiers français dont le Lieutenant-Colonel Rançon, ce qui provoquera dans l’armée une onde de choc anti-OAS. Ce sont les plus durs de l’OAS-Oran, – petits commerçants, artisans ou ouvriers- qui veulent garder leur spécificité et n’oublient pas l’antisémitisme originel.
– N-O : Toutes ces disparités vont conduire à des frictions, voire à une guerre au sein de l’OAS ?
– R.K : Elle sera violente, brève et opposera le « Front Nationaliste » d’extrême-droite qui veut négocier avec De Gaulle une partition de l’Algérie, – essentiellement Alger et Oran-, et ceux qui s’y refusent, l’état-major de l’OAS. L’exécution de deux chefs du Front nationaliste mettra fin au débat idéologique.
– N-O : Au même moment, la guerre entre OAS et Barbouzes fait rage, non ?
– R.K : Ceux qu’on a appelés « Barbouzes », – des éléments irréguliers chargés de lutter clandestinement contre l’OAS – ont joué un rôle beaucoup moins important pour écraser l’adversaire que trois autres noyaux durs gaullistes, bien plus discrets. Un premier noyau du ministère de l’Intérieur, autour de Roger Frey, composé de policiers loyalistes » dont la « Mission C » de Michel Hacq ; un autre de la sécurité militaire autour de Pierre Mesmer, et un troisième, encore plus discret, formé par les Réseaux Foccart.
– N-O : Quant aux Barbouzes, ils se sont fait massacrer par l’OAS ?
– R.K : Oui. Cela les a occupés. Au point que certains chefs de l’OAS se sont demandé si les Barbouzes n’avaient pas été utilisées pour camoufler les actions des services officiels. En réalité, cette guerre civile franco-française a opposé un millier de vrais durs OAS à un très petit nombre fiable d’éléments gaullistes. Bien plus efficaces que les manifestations d’une gauche obsédée par le mythe de la « complicité De Gaulle-OAS ».
– N-O : Autre grand mystère : la négociation finale entre L’OAS et le FLN. Là, on est au bout du chemin ?
– R.K : C’est la fin. L’OAS n’a plus qu’un seul choix : le « crépuscule des dieux coloniaux » par une politique de terre brûlée ou une tentative de négociation, de Jean Jacques Susini, avec les éléments modérés du FLN. En juin 62, le Docteur FLN Mostephaï lance même un appel radio pour inciter les pieds-noirs à rester en Algérie. Trop tard. Les négociations capotent à cause des durs des deux camps, l’OAS-Oran et l’armée FLN des frontières qui a décidé depuis longtemps que les Européens devaient partir.
– N-O : L’histoire de l’OAS est celle d’un désastre !
– R.K : C’est un double échec. Elle perd la guerre civile franco-française avec les séquelles d’une guerre civile et elle échoue dans son projet de maintenir l’Algérie française. Mais je ne crois pas qu’elle soit la seule responsable de l’exode des pieds-noirs.
– N-O : Son action n’a-t-elle pas ensanglanté les derniers mois de l’Algérie française ?
– R.K : Dans cette guerre civile, – deux mille morts-, l’OAS a eu une centaine de tués ; les autres sont des Algériens tués souvent au hasard, des Français, policiers, militaires, élus, intellectuels, journalistes et des civils morts lors de la manifestation de la Rue D’Isly ou victimes des représailles du FLN. A la fin, on tuait beaucoup, indistinctement, il y avait une espèce de course à la mort, ce qu’un des chefs de l’OAS a appelé une « course aux macchabs. » L’autre conséquence est que l’abandon délibéré des Harkis a été décidé en grande partie parce que les autorités gaullistes craignaient qu’ils ne servent de masse de manœuvre de l’OAS en métropole.
– N-O : Qu’est-ce qui nous reste à apprendre ?
– R.K : Le stade suivant passe par la levée totale de l’embargo sur les archives. Reste qu’aujourd’hui, au-delà des rancœurs, des tragédies et des passions, on peut commencer à écrire vraiment toute cette histoire. » » »

Propos recueillis


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