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Irak: l’affaire Warner

publié le 07/02/2010 | par Emmanuel Duparcq

Il est 19h30 devant la cour militaire d’un camp américain au nord de Bagdad quand le sergent Warner baisse les yeux, comme s’il venait de réaliser que les témoignages de ses camarades sur la mort en mai d’un Irakien pourraient bien l’envoyer en cour martiale.


Sale journée pour le sergent Warner, accusé du meurtre d’un Irakien

Par Emmanuel Duparcq, envoyé spécial de l’Agence France Presse.
Crédit Photo AFP, Tous droits réservés AFP

CAMP SPEICHER (Irak), 14 sept 2008

A la barre des témoins, l’un de ses subordonnées au sein du 1er peloton du 327e régiment d’infanterie basé à Baïji, dans le nord de l’Irak, le tout jeune caporal Cody Atkinson, vient de lui planter une nouvelle banderille dans le dos.

Cela fait dix heures que la cour militaire de Camp Speicher, près de Tikrit, à 180 km au nord de Bagdad, a commencé l’audition du sergent Warner, accusé du meurtre d’Ali Mansour, dont le corps nu, brûlé et criblé de deux balles, a été retrouvé le 17 mai baignant dans son sang sous un pont proche de Baïji.

« Je les ai vus prendre une grenade », affirme le caporal Atkinson, voix grave et visage d’adolescent, à propos du sergent Warner et du commandant de la section, le lieutenant Michael Behenna, tous deux originaires de l’Oklahoma.

Cette grenade, les deux hommes sont accusés par la justice américaine de l’avoir placée sous la tête d’Ali Mansour avant de l’achever au pistolet, le 16 mai au soir.

Engoncé dans son fauteuil, au milieu de ses avocats, Warner encaisse.
Depuis le début de l’après-midi, plusieurs de ses camarades de section se sont succédé à la barre, l’accablant chaque fois un peu plus en racontant la journée du 16 mai et ses suites.

Comment, selon eux, la section, au lieu de libérer Mansour, s’est dirigée vers le nord, s’arrêtant à la nuit tombée au pied d’un pont proche de Baïji.
Comment Warner et Behenna, armés de leur pistolet et d’une grenade, auraient alors emmené le prisonnier à pied dans la nuit noire, avant de revenir seuls quelques minutes plus tard.
Comment ils auraient ensuite ordonné au reste de la section de faire une fausse déclaration attestant que Mansour avait été libéré le 16 mai.

Face à cela, Warner a gardé le silence, passant ses nerfs sur un chewing gum. Mais le sergent au visage inexpressif, au crâne rasé et aux yeux clairs, accuse peu à peu le coup et semble vouloir chaque fois s’enfoncer un peu plus dans son fauteuil.
Les divers témoignages accablent pourtant surtout le lieutenant Behenna, faisant du sergent Warner un second couteau dans l’histoire.
Le jeune commandant de section est décrit comme un planificateur froid, persuadé qu’Ali Mansour est un ennemi qu’il ne faut pas relâcher vivant. Un jeune chef qui fait peur à ses hommes et qui ira jusqu’à plaisanter devant eux sur la grenade du 16 mai et le « steak » qu’elle a cuit, dit le caporal Atkinson.

De son côté, Hal Warner est un personnage paradoxal, dépeint comme un « maillon faible » à la personnalité « agressive » par le sergent Sanchez.
Un homme qui, jusqu’au dernier moment, ne semble pas au courant des projets de Behenna mais qui l’a suivi, selon les témoignages, en emmenant avec lui le prisonnier dans la nuit.
Un sous-officier qui, avec le lieutenant Behenna, aurait ordonné aux hommes de la section de faire un faux témoignage indiquant que la victime a été libérée le 16 mai… Avant d’être pris de doutes, au point de dire un jour à ses hommes « que le lieutenant Behenna a tué Ali Mansour », se rappelle le caporal Atkinson.

Il est 19H30 samedi et le juge suspend l’audition pour la nuit.
Dans le maigre public, le lieutenant Behenna, convoqué, lui, le 20 septembre, finit de prendre des notes puis s’éclipse prestement. L’officier fait à peine ses 25 ans. A quelques mètres de là, Warner, 34 ans, semble avoir pris dix de plus en une après-midi.

CAMP SPEICHER (Irak), 14 sept 2008 (AFP) – 2ème épisode

Fin de l’audition

L’audition du sergent américain Hal Warner, accusé d’avoir tué en mai un Irakien, s’est achevée dimanche par un très sévère réquisitoire de l’accusation qui a estimé le militaire coupable et réclamé son renvoi en cour martiale.

Il revient maintenant au commandement de l’armée américaine de décider ces prochaines semaines, au vu des résultats de cette audition, si le sergent-chef de 34 ans doit être traduit ou non en cour martiale pour être jugé et éventuellement condamné.

L’audition s’est déroulée pendant deux jours sur la base américaine de Camp Speicher, près de Tikrit (180 km au nord de Bagdad). Et les témoins ont accablé, les uns après les autres, le sergent-chef Warner, co-accusé dans cette affaire.

Dans la matinée, un interprète irakien de la section du sergent Warner a ainsi décrit en détail l’exécution de la victime par l’accusé et son supérieur, le lieutenant Michael Behenna, qui sera entendu le 20 septembre.

« Il existe des bases raisonnables pour penser que le prévenu a commis les crimes dont il est accusé », a conclu le procureur militaire, le capitaine Meghan Poirier, dans son réquisitoire, confirmant le souhait de l’accusation de le voir passer en cour martiale.

« Au vu des témoignages recueillis, le sergent Warner peut être poursuivi devant une cour martiale », avait déclaré dès samedi l’adjoint du capitaine Poirier, le capitaine Jason Elbert.
Tous deux originaire de l’Etat d’Oklahoma, le sergent-chef Warner et le lieutenant Michael Behenna sont accusés de « meurtre avec préméditation » et « agression » sur la personne d’Ali Mansour, un Irakien de 24 ans, ainsi que de « faux témoignage et obstruction à la justice ».

Les témoignages entendus samedi et dimanche, notamment ceux des soldats du bataillon commandé par le lieutenant Behenna, concordent tous sur le scénario du crime.
Ils ont d’abord raconté la journée du 16 mai, au cours de laquelle Ali Mansour, un prisonnier arrêté le 5 mai car soupçonné de mener des opérations anti-américaines, devait être libéré, faute de preuves.

Mais au lieu de le déposer dans son village comme prévu, le convoi, sur ordre du lieutenant Behenna, a continué sa route jusqu’au coucher du soleil, avant de s’arrêter au pied d’un pont de chemin de fer, aux portes du désert.
Le lieutenant Behenna a alors sorti discrètement Ali Mansour, qu’il avait placé dans un véhicule en queue de convoi, et l’a emmené dans le tunnel creusé sous le pont, accompagné du sergent Warner et de leur interprète irakien.

Ce dernier a détaillé comment Behenna, 25 ans, et Warner avaient déshabillé Ali Mansour. Le premier l’aurait alors abattu de deux balles de pistolet, avant que le second n’actionne une grenade incendiaire sous sa tête.
Le lieutenant Behenna voulait ainsi défigurer Ali Mansour pour empêcher qu’ils ne soit identifié, ont affirmé plusieurs de ses soldats.
Les deux militaires ont ensuite demandé à leurs hommes de faire une fausse déclaration indiquant qu’Ami Mansour avait été libéré comme prévu.

Selon plusieurs de ses hommes, le commandant Behenna était persuadé qu’Ali Mansour avait organisé une attaque à la bombe qui avait frappé un convoi de la section et tué deux de ses hommes le 21 avril.
Dans son réquisitoire, le capitaine Poirier a estimé que le sergent Warner avait été partie prenante de la réalisation de cet assassinat, mais aussi dans sa préparation, ce dont doutaient certains soldats de la section.

« Nous ne contestons pas le fait que le sergent Behenna ait tué Ali Mansour », a ajouté capitaine Poirier, « mais nous accusons le sergent Warner d’être un acteur principal de ce meurtre au vu du rôle qu’il y a joué », a-t-elle ajouté.
A l’issue de cette audition, le sergent-chef n’a pas usé de son droit à la parole pour se défendre face aux accusations.

emd/kat/cyj

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