Iran. Opération Moonwalk

Pourquoi parler de ce livre dans Grands-Reporters ? Ce n’est pas un reportage, ce n’est pas un récit du quotidien d’une classe sociale ou des manœuvres de dirigeants, ni un essai érudit ou documenté sur un pays…  Pourtant, Opération Moonwalk nous offre des éclairages subtils sur un peuple : le peuple iranien. Ce roman nous aide à comprendre des réalités enfouies sous le vernis de la politique ou de l’actualité. 

Moonwalk, donc : on aura reconnu le pas inimitable de Michael Jackson. Le roman part d’une coïncidence : la première révolution iranienne, dite « Twitter », qui suit immédiatement l’élection de Mahmoud Ahmadinejad, débute le 14 juin 2009. Dix jours plus tard, le 25 juin, Michael Jackson meurt à Los Angeles. Quatre jours après, le soulèvement s’éteint et les résultats de l’élection sont certifiés.  Coïncidence. Mais comment se fait-il que, dix ans plus tard, le 29 août 2019, Mahmoud Ahmadinejad, peu connu pour son goût pour la musique occidentale, rende hommage au « Prince de la pop » dans un tweet reprenant les paroles de Man in the Mirror ? 

Le fin mot de l’histoire nous est enfin révélé par les auteurs : pour éteindre l’incendie intérieur iranien et son retentissement international, il fallait un événement planétaire. La mort de Michael Jackson éclipserait tout. Il devait donc être assassiné… par les services secrets iraniens.  L’histoire est celle d’une équipe de bras cassés iraniens, extrêmement attachants, envoyés aux États-Unis pour sauver le régime en s’infiltrant dans l’entourage du chanteur afin de l’éliminer. C’est aussi burlesque qu’invraisemblable, et le plus étonnant, c’est que ça marche : le lecteur est pris dans un tourbillon digne des parodies d’OSS 117 et ne quitte pas le livre jusqu’à la dernière page. Bravo aux auteurs : l’humour et le comique ne sont pas donnés à tout le monde. 

Mais il y a plus. En profondeur, le livre s’inscrit dans une tradition littéraire féconde, celle des Lettres persanes (tiens, tiens !) de Montesquieu. La confrontation de deux cultures produit des effets comiques tout en délivrant, sans en avoir l’air, des observations importantes sur chacune d’elles.  Disons, en vrac: le peuple iranien est très raffiné dans ses manières, avec des formules de politesse irrésistibles; les mollahs sont un moment d’une histoire perse de plus de trois millénaires; l’amitié est une valeur disparue de l’Occident mais décisive en Perse; la vie matérielle ne vaut pas celle de la poésie; le courage n’est rien sans les autres; la cuisine iranienne est insurpassable. Et Michael Jackson est universel.

Lisez donc Opération Moonwalk pour retrouver un peuple spirituel et joyeux. Un peuple qui, on le sait, ne se résigne pas malgré les sinistres théocrates. Il en a vu d’autres, depuis trois mille ans.

« Opération Moonwalk », par Jean-Félix de La Ville Baugé  et Arash Rafii. Editions Telemaque. 17 octobre 2024