Israël, 7 octobre : les rapports qui accablent le pouvoir
Les deux commissions d’enquête de l’armée et des services israéliens fustigent les erreurs d’interprétation des signaux d’alarme, l’impréparation des moyens de défense et l’absence de coordination

Les succès militaires et stratégiques engrangés par l’armée israélienne depuis le 7 octobre 2023 ne permettent pas, à ce jour, de sortir le pays d’un sentiment général d’insécurité. Tant que les causes ayant amené à la catastrophe du 7 octobre n’auront pas été mises à jour, la société israélienne restera handicapée pour bâtir un nouvel avenir collectif. Si le pouvoir politique déploie tous les moyens possibles pour retarder l’échéance d’une commission d’État indépendante, Tsahal et le Shabak (ex-Shin Bet, service de sécurité intérieure) étaient dans l’obligation d’enquêter sur la catastrophe du 7 octobre afin de pouvoir continuer à conduire un conflit militaire de forte intensité sur plusieurs fronts.
Les conclusions des deux commissions d’enquête de Tsahal et du Shabak ont été largement diffusées et commentées par les médias et le public. Elles sont accablantes sur les erreurs d’interprétation des signaux d’alarme, sur l’impréparation des moyens de défense sur le terrain et sur l’absence de coordination entre les différents organismes de sécurité.
6 000 terroristes du Hamas contre 700 soldats mal équipés
Près de 6 000 terroristes du Hamas ont pu contrôler pendant plusieurs jours une partie du territoire de l’État d’Israël avec, face à eux, seulement 700 soldats partiellement équipés, une dizaine de chars pas tous en fonctionnement, des localités civiles aux moyens de défense réduits et des milliers de fêtards insouciants. Les centaines de morts civils et militaires, les milliers de blessés, les centaines d’otages capturés en une seule journée représentent la plus sévère défaite militaire du pays depuis 1948.
Ces enquêtes décrivant les défaillances qui ont précédé le 7 octobre ont été bien sûr exploitées par les soutiens de Benyamin Netanyahou afin de détourner l’attention du public des responsabilités propres au gouvernement. Elles sont également contestées pour deux raisons principales :
- Menées par des enquêteurs de rangs militaires inférieurs au rang des personnes enquêtées, elles sont soupçonnées de manquer de pugnacité dans leurs investigations et de vigueur dans leurs conclusions.
- Surtout, elles ont été volontairement limitées aux aspects opérationnels autour de la tragédie du 7 octobre. Seule une commission d’État au périmètre de compétence élargi pourrait se donner les moyens d’enquêter plus en amont sur les causes profondes de l’impréparation à l’attaque de grande ampleur du Hamas.
Israël aveuglé par sa confiance dans sa capacité de dissuasion
Pour un système de défense, il est très difficile de se remettre en question jusqu’à réviser de fond en comble ses schémas de fonctionnement quand il doit en même temps continuer à assumer ses tâches au jour le jour. C’est pourtant ce qu’il sera nécessaire de faire pour expliquer l’aveuglement général qui a prévalu chez les militaires et les politiques depuis des dizaines d’années. Des experts non impliqués dans les prises de décision ont déjà pu remettre leurs premières conclusions, et elles sont déstabilisantes.
- Depuis 2017, Israël n’a pas su voir que le Hamas et le Hezbollah avaient changé de stratégie et étaient devenus persuadés qu’ils seraient capables, le moment venu, d’infliger une défaite militaire à Tsahal.
- Le Hamas a volontairement limité sa riposte aux opérations israéliennes sur Gaza des années 2019 à 2021. Tout en laissant croire à Israël qu’il était affaibli militairement, il continuait en parallèle à renforcer ses infrastructures grâce à l’argent du Qatar.
- Pendant toutes ces années, Israël est resté convaincu de sa capacité de dissuasion et a géré un système de surveillance et d’analyse qui ne laissait la place ni au doute ni aux opinions contradictoires. Les signaux qui pouvaient aller à l’encontre des certitudes sur sa supériorité militaire n’étaient pas retenus ou étaient mal interprétés, non seulement dans la nuit du 7 octobre 2023, mais depuis des années.
Un système politique et militaire incapable de remise en question répétera les mêmes erreurs
Que ce soit à Gaza ou au Liban, Israël a su repérer des individus et des groupes par les moyens les plus sophistiqués possibles pour les neutraliser. Mais lire leurs pensées et décrypter leurs stratégies nécessitent des outils de nature plus politique que technologique. Et là, les échecs sont patents.
Si les futures enquêtes sur les causes de la tragédie du 7 octobre se contentent de conclusions opérationnelles, elles n’auront pas rempli leur objectif. Un système politique et militaire qui ne sera pas capable d’intégrer les doutes et les remises en question dans ses méthodes pour évaluer les menaces et les opportunités répétera les mêmes erreurs.
Le mythe sacré de la loi du plus fort
Israël ne pourra pas échapper à une remise à plat et à un débat sur sa future stratégie d’existence dans son environnement régional. En sous-estimant ses adversaires, en se convainquant qu’ils se soumettront éternellement à une loi du plus fort, et en s’interdisant toute ouverture vers une issue politique à moyen ou long terme, Israël se condamne à une autre commission d’enquête dans les années à venir.
VOIR : Général de brigade Itay Brun, chaîne TV 12 Israël, interview du 16 novembre 2024
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