Israël : les hommes en noir, les uniformes et les urnes
La guerre continue mais les ultra-religieux défient l’armée et menacent le gouvernement Netanyahou

Une guerre pour survivre politiquement
Depuis le 7 octobre 2023, la coalition au pouvoir en Israël résiste, malgré les pertes humaines, l’onde de choc nationale et un isolement international croissant. Elle sacrifie les otages à Gaza et esquive une enquête d’État sur ses responsabilités. La guerre, sans objectif clair, devient l’ultime levier de survie du pouvoir. Mais ce sera peut-être sur les inégalités flagrantes qui déchirent la société israélienne face à l’obligation de conscription militaire que ce gouvernement va trébucher.
L’exemption des ultra-orthodoxes, ligne de fracture nationale
Depuis 1948, les étudiants des yeshivot échappent à la conscription. Initialement limitée, cette exemption est devenue massive avec la croissance démographique de ce groupe. De plus en plus d’Israéliens dénoncent une injustice intenable.
Le Shas (sépharade) et le Judaïsme unifié de la Torah (ashkénaze) ont soutenu presque tous les gouvernements. À l’exception de deux courtes périodes pendant les dernières décennies, ces deux partis ont toujours veillé à participer aux gouvernements israéliens successifs, toutes tendances politiques confondues. En échange : subventions, avantages, et maintien du statu quo sur la conscription. Même si une partie de leurs électeurs – non sionistes – rejette la légitimité de l’État.
La société civile révoltée
Mais depuis les massacres du 7 octobre, les cadeaux budgétaires faits aux partis politiques ultra-orthodoxes religieux sont le principal sujet de discorde au sein de la société israélienne.
Le pacte de coalition négocié par Benjamin Netanyahou en 2022 stipulait qu’une nouvelle loi serait adoptée pour garantir cette exemption de service militaire concédée aux jeunes juifs ultra-orthodoxes. Mais plusieurs parlementaires du Likoud, avec à leur tête Yuli Edelstein, président de la commission parlementaire en charge de l’élaboration du projet de loi, conscients de l’impopularité de cette loi, renâclent à sa mise en place.
Un ordre général de mobilisation… ignoré
Entre-temps, l’ancienne loi d’exemption étant devenue caduque, la Cour suprême a statué en juin 2024 sur l’obligation pour les élèves ultra-orthodoxes des yeshivot d’effectuer leur service militaire. Confrontée à une pénurie de ressources, l’armée s’est résolue à émettre des ordres de mobilisation pour 24 000 élèves de yeshivot, sur un total de 80 000 éligibles à la conscription. Sur 24 000 appelés, seuls 1 345 élèves ont répondu à l’appel et 300 ont été enrôlés à ce jour. Ce qui n’a pas empêché les ultra-orthodoxes, qui considèrent qu’ils n’ont pas de compte à rendre à la société civile et à ses lois, de multiplier les protestations, souvent violentes.
Les grands rabbins demandent la dissolution anticipée de la Knesset
À la différence des partis politiques classiques, c’est un conseil de grands rabbins, adossé à chacun de ces partis ultra-orthodoxes, qui émet les directives. Ceux du parti du Judaïsme unifié de la Torah ont émis la semaine dernière une injonction pour une dissolution anticipée de la Knesset. Les ultra-orthodoxes sépharades du Shas n’ont eu que le choix de suivre le mouvement.
Religieux et Netanyahou : le deal
On savait depuis longtemps que les partis ultra-orthodoxes étaient excédés par Benjamin Netanyahou et son non-respect des engagements pris en face d’eux. L’armée poursuit ses objectifs et s’est engagée à envoyer 54 000 ordres de mobilisation supplémentaires. La perspective d’avoir des milliers d’élèves de yeshivot répertoriés comme déserteurs va être de plus en plus difficile à gérer par ces partis, et les pousse à sortir du gouvernement. Déjà, un jeune élève de yeshiva de 20 ans, arrêté la veille de la fête de Shavouot, au moment où il tentait de fuir le pays, a été condamné à 20 jours de prison militaire.
Mais même si une loi de dissolution de la Knesset est adoptée mercredi 11 juin en première lecture, il faudra encore trois autres votes de confirmation avant que la dissolution soit effective. En faisant encore traîner les discussions sur une loi qui n’a aucune chance d’être adoptée, Benjamin Netanyahou reste le maître des horloges et peut choisir de retarder ou non une dissolution quasi inéluctable.
Des élections au plus tôt en octobre
Compte tenu du calendrier parlementaire, l’échéance la plus courte pour de nouvelles élections est le mois d’octobre 2025. À l’exception des Démocrates de Yair Golan, qui durcissent leurs messages et affichent une ambition de devenir l’axe central d’une nouvelle majorité, les partis d’opposition n’ont aucune proposition politique alternative claire et tablent uniquement sur le ressentiment populaire contre Netanyahou.
Utiliser les otages et la guerre comme argument électoral
D’ici là, Benjamin Netanyahou va gérer cyniquement la continuation des opérations militaires à Gaza, où le nombre de soldats tués, depuis la rupture du cessez-le-feu en mars par Israël, dépasse déjà le nombre d’otages encore vivants. Objectif : choisir le moment le plus favorable à une libération d’otages pour le mettre alors à son crédit.
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