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Israël : vague d’émigration sans précédent

publié le 20/02/2025 par grands-reporters

En 2024, Israël a connu une augmentation spectaculaire de l’émigration. 82 700 citoyens ont quitté le pays cette année, un record

Si cette hausse s’explique en partie par une nouvelle méthode de comptage, elle reflète aussi un malaise profond : instabilité politique, crise économique et inquiétudes sécuritaires poussent de plus en plus d’Israéliens à chercher un avenir ailleurs.

Une tendance en forte accélération

L’émigration israélienne n’a jamais atteint un tel niveau. En 2023, 55 400 départs avaient été enregistrés, contre 37 800 en 2022. En cinq ans, le phénomène s’est intensifié, transformant une dynamique marginale en véritable exode. Cette hausse brutale est en partie due à un changement méthodologique : sont désormais considérées comme émigrées les personnes absentes d’Israël plus de 275 jours dans l’année, contre une année complète auparavant. Ce nouvel outil statistique explique en partie l’envolée des chiffres. Pourtant, même en tenant compte de cet ajustement, l’ampleur du phénomène demeure frappante. Le solde migratoire net, qui prend en compte les retours et les nouveaux immigrants, s’établit à 26 100 personnes, soit seulement 0,26 % de la population. Israël, historiquement terre d’immigration, voit aujourd’hui de plus en plus de ses citoyens partir.

Qui part et pourquoi ?

Le profil des émigrants en dit long sur la situation actuelle du pays. Près de la moitié (48 %) ont entre 20 et 45 ans, tandis que 27 % ont moins de 19 ans. Ces chiffres révèlent une fuite inquiétante des forces vives du pays. Les grandes villes sont les plus touchées : Tel Aviv a enregistré 11 020 départs, Haïfa 6 000, Netanya 5 370 et Jérusalem 5 000. Dans la banlieue de Tel Aviv, plus de 17 000 habitants ont quitté le pays. Derrière ces chiffres se cache une réalité politique : une grande partie des émigrants sont des opposants au gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Nombre d’entre eux ont participé aux manifestations contre la réforme judiciaire et expriment leur désillusion face à l’évolution de la démocratie israélienne.

« Nous aimons notre pays, mais nous avons perdu espoir », a confié, au journal Le Monde,  Lavi Segal, récemment installé en Italie. Membre du groupe Baita, qui accompagne les expatriés israéliens en Europe, il témoigne du sentiment d’impuissance partagé par beaucoup. « Il y a quelques années, l’idée de partir était inimaginable. Aujourd’hui, c’est une nécessité. »

Une fuite des cerveaux préoccupante

Parmi les candidats au départ, on trouve une proportion croissante de professionnels qualifiés : médecins, ingénieurs, entrepreneurs, chercheurs. L’Italie, l’Espagne et le Portugal sont particulièrement prisés, notamment en raison de programmes facilitant l’installation des descendants de Juifs séfarades.Les États-Unis et le Canada attirent également de nombreux Israéliens. Les cabinets spécialisés dans l’aide aux visas, comme Goldfarb Gross Seligman, signalent une explosion des demandes. Le groupe Facebook Relocation from Israel Abroad, qui comptait 8 000 membres fin 2023, en rassemble aujourd’hui 27 000.

La crise de l’immobilier joue un rôle central dans cette émigration. « Nous avons compris que nous ne pourrions jamais acheter un appartement en Israël », explique Maayan Golan, partie en Italie avec son mari. Le coût de la vie, couplé à l’incertitude économique, pousse de nombreux jeunes couples à tenter leur chance ailleurs.

Insécurité et guerre : des catalyseurs du départ

À ces considérations économiques et politiques s’ajoute la question sécuritaire. L’opération militaire en cours à Gaza, la montée des tensions avec le Hezbollah et la recrudescence des attaques terroristes nourrissent un sentiment d’instabilité.« Je veux un avenir sans guerre pour mes enfants », confie Roy, musicien sur le départ pour l’Espagne. « Mais ce qui nous attend, ce sont des années noires. »

Cette inquiétude est partagée par une large partie de la population. L’influence croissante des ultraorthodoxes, qui bénéficient d’une exemption militaire mais d’un poids politique accru, exacerbe les tensions entre les différentes composantes de la société israélienne.« Si rien ne change aux prochaines élections, il y aura encore plus de monde pour partir », prédit un avocat spécialisé en immigration.

Un tournant historique ?

Israël a toujours été une nation d’immigration, façonnée par des vagues successives d’Alyah (*). Aujourd’hui, la tendance s’inverse. Si cette vague d’émigration se poursuit, les conséquences pourraient être considérables : affaiblissement économique, polarisation politique accrue et fuite des talents. La question est désormais de savoir si cet exode est conjoncturel ou s’il marque un basculement profond et durable. Une chose est sûre : tant que les tensions politiques, économiques et sécuritaires ne seront pas résolues, l’hémorragie démographique risque de se poursuivre.

(*) Alya, Alyah ou Aliyah, en hébreu,  est un terme désignant l’acte d’immigration en Terre d’Israël, puis en Israël par un Juif. Les immigrants juifs sont appelés olim. Au contraire, le fait pour un Juif d’émigrer en dehors d’Israël est appelé yéridah 


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