Jean-Paul Mari présente :
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Itinéraire d’exil et de migration

publié le 09/12/2015 | par grands-reporters

On ne laisse pas un humain clapoter dans l’eau sale »… Dès les premières lignes des Bateaux ivres, Jean-Paul Mari s’insurge contre les milliers de morts anonymes que les flots charrient désormais. Il s’alarme contre ces mers qu’on laisse rougir du sang des migrants, en détournant un visage gêné. Et son cri s’étire au fil des 200 pages de ce récit qui s’ancre dans les ports et les capitales des terres d’exil, de Kaboul à Mytilène. De Khartoum à Melilla.

Publiée chez Jean-Claude Lattès, son « odyssée des migrants en Méditerranée », comme il l’a sous-titrée, démarre et se termine sur la vie et la mort de Robiel. Le destin tragique d’un Erythréen comme tant d’autres. Un jeune homme qui aura mis cinq années pour rejoindre Calais et y terminer sa courte existence après être tour à tour passé par la prison, le camp de réfugiés, le désert, la Méditerranée, la remontée de l’Europe.

Le Robiel de Jean-Paul Mari, à qui le livre est dédié, est l’archétype du migrant. C’est un autre Aylan, mort, lui, dans les eaux glacées de la Manche, à 100 mètres du ferry qui aurait pu l’emmener en Grande-Bretagne. Son visage, bouffi à force de séjourner sous la vague, a marqué l’écrivain comme le cadavre du petit Aylan, ce Syrien de 3 ans échoué sur une plage, a choqué le grand public, début septembre.

Odyssées anonymes

L’écrivain a fait de Robiel l’homme central d’un récit qui observe les dérives et les errances du monde à travers les zigzags et les naufrages des embarcations de fortune empruntées par les candidats à l’exil. Et ce journaliste, Prix Albert Londres et de multiples fois récompensé pour ses reportages sur toutes les scènes du monde, interroge par cette histoire notre rapport à ces odyssées anonymes.

De l’Afrique à l’Afghanistan, en passant par la Sicile ou la Grèce, Jean-Paul Mari a posé son regard de grand reporter pour mieux raconter l’unité du phénomène migratoire et l’attitude gênée des pays riches. A Calais comme ailleurs, il dénonce la gestion de l’homme et de la femme dans « ces espaces frontières de plus en plus vastes, hors du temps, hors du monde ; un nouvel homme est né. Il voulait bouger, découvrir l’altérité, une terre inconnue, le voilà arrêté, bloqué sur le lieu même de la frontière qui sépare mais ne relie plus », explique-t-il, avant de conclure que « le migrant, devenu homme frontière, n’existe plus ».

Son récit choral, où se croisent et s’enchevêtrent des destins divers, toujours tragiques, s’appuie sur ces grandes traversées des temps modernes. Une façon de s’arrêter sur les centaines de milliers d’hommes et de femmes toujours en quête d’autobus, de gares routières, de rafiots de fortune ; simplement pour survivre. Et comme un récit fort n’est jamais neutre, on sent poindre çà et là la vieille blessure du déracinement que le jeune Jean-Paul Mari a lui aussi vécu, pour avoir à 11 ans dû quitter son Algérie natale. Rien de comparable, hormis ce goût amer de l’exil, qui laisse des traces.

Maryline Baumard

Les Bateaux ivres, l’odyssée des migrants en Méditerranée, de Jean-Paul Mari, JC Lattès, 300 pages, 19 euros.

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