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Russie. Je t’aime, je te bats

publié le 26/04/2007 | par Marie Dorigny

Toutes les 40 minutes, une femme russe meurt sous les coups de son compagnon.


En comparaison, dix ans de guerre en Afghanistan ont coûté la vie à « seulement » 10 000 soldats soviétiques. Toutes les 40 minutes, une femme russe meurt sous les coups de son compagnon. Et chaque jour, elles sont plus de 35 000 à être battues (*).

D’où vient cette violence ? Pour les spécialistes de la Russie, l’égalité des sexes revendiquée par le régime soviétique n’aurait été qu’un leurre. Malgré la propagande officielle, cette parité prônée dans le monde du travail n’a jamais franchi le seuil de la maison. Les femmes pouvaient bien exercer des métiers traditionnellement masculins, au sein de leur foyer, elles devaient réintégrer le rôle traditionnel d’épouse et de mère dévouée.

Depuis la chute du communisme, les valeurs patriarcales et le conservatisme religieux, propres à la société russe, ont refait surface et menacent la liberté des femmes.

Tout au long des années 90, les femmes, premières victimes des bouleversements économiques ont perdu à la fois, leur travail et les avantages sociaux acquis sous le régime communiste. Alors qu’à l’époque soviétique, 90 % d’entre elles travaillaient, aujourd’hui, deux tiers des chômeurs sont des femmes. Et dans un marché du travail devenu compétitif, celles qui ont pu conserver un emploi occupent les postes les moins bien rémunérés.

Dans la plupart des foyers russes aujourd’hui, l’homme est devenu l’unique soutien de famille, ce qui lui confère une nouvelle autorité au sein du couple. Si certaines femmes s’étaient réjouies d’abandonner un travail pénible pour retrouver leur foyer, désormais fragilisées par leur dépendance financière, elles encaissent les coups en silence.

Soumis aux pressions du système capitaliste, les hommes, en perte d’image sociale, réaffirment avec violence leur pouvoir à la maison. Les milieux modestes ne sont pas les seuls touchés par ce fléau : il existe un type de violence conjugal caractéristique des milieux nouveaux riches. En échange du bien-être matériel qu’ils offrent à leur épouse, les maris attendent d’elles une obéissance absolue.

Enfin, l’augmentation de l’alcoolisme dans la société russe est un facteur favorisant cette violence. Entre 1990 et 2001, le nombre d’hommes morts d’alcoolisme a été multiplié par trois. Et leur espérance de vie est tombée à 58 ans…

Confrontés à ce fléau, les pouvoirs publics, la police et la justice répondent par l’apathie et l’indifférence. Pour la société russe, en général, la violence domestique relève, en effet, de la vie privée.
Pire encore, les Russes aiment à citer ce proverbe : « qui aime bien, châtie bien ».

Dans ces conditions, pour une femme victime de violence conjugale, affronter le système relève de la mission impossible. Nombreux sont les cas où les policiers refusent même d’enregistrer la plainte, de celle, téméraire, qui aura décidé de briser la loi du silence et de demander justice.

Face à la lenteur de la réaction des autorités, les femmes russes ont commencé à s’organiser. Pour venir en aide à leurs concitoyennes victimes de violence domestique, elles ont créé des centres de crise et d’aide pour femmes battues.
Au total, 45 associations NGO sont regroupées au sein de l’association « Stop la violence ».

Mais ces groupes sont présents uniquement dans une dizaine de villes. Et aujourd’hui, seuls cinq standards téléphoniques sont en mesure de recevoir des appels à l’aide. une douzaine de refuges seulement peuvent accueillir les femmes battues et leurs enfants. Chiffres dérisoires au regard des 75 millions de femmes russes.

Tout manque. Tout est à faire. Les associations ne reçoivent aucune aide de l’Etat. De création récente, elles ont peu de poids auprès des autorités, quand elles ne sont pas harcelées et forcées à fermer. Les financements font également défaut. Et les ONG, peu habituées à coordonner leur travail, s’épuisent à répondre, avec de très faibles moyens, aux situations d’urgence. Dans ce contexte, difficile de réaliser un travail d’information et de prévention.

Depuis quelques années cependant, des collaborations ont été instaurées avec des bonnes volontés étrangères, qu’elles soient privées ou publiques.

À Moscou, ce sont des militantes américaines qui sont venues apporter leur expérience aux associations locales.
À Saint-Pétersbourg, depuis 11 ans, la police anglaise forme des policiers russes à la prise en charge de la violence domestique. 300 policiers russes sont même allés suivre des stages de formation à Hendon, dans le nord de Londres.

Le prince de Galles, lors de sa visite en juillet 2003 en Russie, a d’ailleurs fait un détour par Kirovsky, l’un des districts les plus pauvres de la région de St Petersbourg. Il est venu y rencontrer les responsables d’un centre d’accueil où les femmes battues et les enfants maltraités peuvent venir chercher un accompagnement, une aide psychologique et juridique. Un centre, qui ces deux dernières années, a reçu 10 000 appels à l’aide.

* Dans le même temps, 56 000 autres étaient sérieusement blessées, voire laissées invalides de façon permanente par leurs compagnons.

Chiffres fournis en 2002 par le gouvernement russe au Comité des Nations Unies pour l’Élimination de la Discrimination Contre les Femmes (CEDCW).

Voir les photos du reportage de Marie Dorigny

Publié en avril 2007


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