JO de Londres: La débâcle du corps algérien
Molle, ruinée, tombée, vaincue, sans but, pliée, sans feu : c’est ainsi que l’on peut qualifier la participation algérienne aux JO de Londres
. Une nation, c’est l’histoire d’un muscle et d’une idée. Cela se comprend donc : au pays des plus de 70 ans au Pouvoir, l’or ne s’obtient pas par le corps, mais par la mémoire et la fraude. Les médaillés sont ceux de la guerre, pas ceux de la performance. D’où la tristesse de voir les autres nations courir, sauter, battre et décrocher les chiffres de l’exploit et du record. Ce n’est pas pour nous.
Avec l’argent de la rente et du pétrole, on peut acheter des révoltés, des émeutiers, des opposants, bourrer des urnes et éteindre une révolte, mais pas acheter un record des 100 mètres. Le dopage est d’usage dans les élections de notre monde, mais il est surveillé à Londres et durant les grandes compétions. Car c’est fait pour : les grandes compétions démontrent qui sont les grandes nations et qui sont les petites nations.
Du coup, on comprend l’essentiel : le corps de l’Algérien ne peut vaincre dans les autres mondes quand il est vaincu chez lui. Il n’y a pas de médailles pour l’ablution et l’immolation. Pour que le corps de l’Algérien décroche l’or et le record, il faut qu’il soit aimé, pas détesté et caché, il faut qu’il soit nourri de l’effort et pas de la rente, il lui faut la liberté et le culte de la perfection et de la tension, il faut qu’il ait une terre à lui, une sensation d’appartenance qui le fera fleurir ailleurs, il faut qu’il ait une croyance et une foi et qu’il croit à une vie à prouver.
Sans cela, il faut rire. Rire de ces discours de « grande nation qui a vaincu la France » et qui aujourd’hui peine à décrocher une seule médaille. Rire et se lamenter de ces vantardises de vétérans et de ces histoires du centre du monde. Car les nations se pèsent à l’or qu’elle gagnent, au corps vainqueur, au muscle qui fait la guerre ou impose l’autorité, et pas au verbiage.
On ne peut pas demander au corps de l’Algérien de vaincre les autres quand il est vaincu chez lui. Par les siens et par lui-même. Encerclé par les paresses, sans culture de la force et du sain, sans respect pour sa nudité ou son dévoilement, sa beauté et sa courbe, sa perfection et sa légitimité.
D’ailleurs, le corps est chez nous de plus en plus illégitime : on le déteste, on lui reproche les tares de l’âme morte, le péché et l’infraction, on attend qu’il meurt pour rejoindre le ciel comme s’il s’agissait d’un dos-d’âne et pas d’un don, on le violente, le méprise, l’assiège et on l’habille mal déjà. On le culpabilise au nom du ciel et au nom de l’histoire. Par les barbus et par les vétérans de la guerre de Libération. Comment voulez-vous que le corps de l’Algérien aille décrocher la lune à Londres ?
Le corps peut conquérir l’or quand il est une conquête de la vie. Pas chez nous. Rions donc : il suffit d’écouter en même temps les discours hyper nationaliste de l’ENTV et des vieux qui nous gouvernent, et de regarder, en image, les débandades olympiennes des Algériens pour comprendre quelle mascarade nous sommes devenus. Une nation se mesure à sa puissance, sa conquête, sa confiance en soi et sa force. Tout le reste, c’est des nostalgies ou des records de monde de blabla.
On ne peut pas faire les 100 mètres avec des plus de 70 ans au pouvoir. A peine un mètre de goudron. Aidé par des Chinois chez soi.
Par Kamel Daoud, dans Le quotidien d’Oran, 2 août 2012.
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