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Kaboul,ville détruite

publié le 22/04/2007 | par Jean-Paul Mari

Premiers plans sur un hôtel particulier à l’état d’abandon. Gravats dans les couloirs, murs qui cloquent, papiers peints déchirés, dossiers jetés à même le sol, factures impayées… l’Ambassade d’Afghanistan à Paris est dans le même état que son pays: en morceaux.


Quinze ans de combats acharnés entre les Moudjahidin opposés au régime communiste et la machine de guerre soviétique n’avaient pas réussi à détruire Kaboul. C’est fait. Les grandes avenues de la ville sont bordées de tas de pierres, souvenirs des anciens bâtiments; comme l’entrepot des douanes, la station de pompage, l’école polytechnique, la poste et tout ce qui donnait un visage à Kaboul. Au Zoo, quelques tigres espèrent le retour d’un chef de faction, celui qui leur a récemment jeté quatre prisonniers en pâture. Les humains, eux, crèvent de faim. Les vieux pleurent leurs enfants morts, les femmes courent après une boule de farine, les gosses ramassent des crottes de chameau comme combustible, les rares hommes sans kalachnikov sont condamnés à se taire. Les moujahidin ont réussi détruire la capitale qu’ils rêvaient de prendre. Au fait, qui envoie jusqu’à mille cinq cents roquettes par jour sur cette ville martyr? Qui se bat contre qui? Le document ne l’explique pas. On accuse pêle-mêle Hekmatiar l’intégriste, les bandits, les « voleurs d’uniforme », les faux-moudjahidin, et surtout les « étrangers ». Tous les malheurs viennent de l’étranger. D’où? On a du mal à le comprendre. On se bat, dit un homme armé, « parce que les Hazaras en veulent aux Ouzbeks; les Ouzbeks aux Tadjiks; les Tadjiks aux Pachtounes.. » Il aurait fallu expliquer que cinq clans armés se disputent Kaboul; certains aux ordres de l’Iran, d’autres sous contrôle saoudien ou pakistanais; tous musulmans partisans d’une république islamique. Avec deux figures qui s’affrontent: Ahmad Shah Massoud, qui voudrait bien remettre un peu d’ordre dans ce chaos; et son ennemi mortel, le fanatique Gulbuddine Hekmatiar, longtemps soutenu et surarmé par les Américains et qui, aujourd’hui, écrase religieusement la ville de toute la puissance de ses missiles. Compliqué? Bien sûr. Mais l’histoire vaut bien un petit retour en arrière. Par exemple vers l’époque où tout était simple. Avec d’un côté, les vilains communistes; de l’autre, les moudjahidin « combattants de la liberté », comme disait Ronald Reagan, forcément démocrates et pacifiques puisqu’ils luttaient contre le diable rouge. Dommage que cette vision simpliste, résolument manicheïste, ait brouillé l’analyse politique. « Ces moudjahidin, libres, musulmans et pacifiques… N’ont-ils été que des fantômes? » se demande Christophe de Pontfilly, effondré, en filmant le résultat de deux ans de guerres intestines. Il connait très bien ce pays pour l’avoir parcouru pendant plus de dix ans. Trop bien? Son reportage, à l’image de Kaboul, est décousu, éclaté, en morceaux. La caméra se veut impressioniste; elle est écrasée par le sujet qu’elle devrait dominer. Le journaliste multiplie les références à son expérience personnelle, confesse sa désillusion. Les images sont livrées, nues, bout à bout, hors d’un contexte qui finit par nous échapper et commentées d’une voix profondément triste, presque intérieure, comme s’il se parlait à lui-même. Il faut beaucoup de courage pour promener une caméra occidentale aujourd’hui dans le chaos de Kaboul l’hostile; pour retrouver Massoud, le héros aux visage vieilli et Hekmatiar, aussi doucereux que dangereux; il faut, au reporter, beaucoup de conviction pour raconter un pays dont tout le monde se fout. Ce reportage est un témoignage inédit, de ceux qu’il faut voir. Reste que ce document à des allures d’adieux manqués. Comme avec un être cher, qu’on a beaucoup aimé mais qu’on ne comprend plus. Et à qui on n’a plus rien à dire.

Jean-Paul MARI


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